N'ayant pas revu sa mère de puis sept ans, Eva convie celle-ci, Charlotte, a venir séjourner chez elle et son époux en Suède. La mère, pianiste de renommée internationale et marquée par la disparition récente de son amant des suites d'une longue maladie, accepte la proposition à la surprise de sa fille. Ce qui devait sceller une réconciliation tacite entre les deux femmes et le début de nouvelles relations, plus apaisées, va se transformer en règlement de compte quand les rancœurs vont progressivement refaire surface.

Le film commence par les retrouvailles entre les deux femmes, retrouvailles chaleureuses mais qui laissent déjà entrapercevoir que quelque choses reste tendu entre elles. Charlotte, toujours en deuil, fait montre d'un enthousiasme un brin exagéré et Eva se montre presque trop obséquieuse pour être honnête. Et tout de suite les hostilités commencent quand Eva annonce a sa mère la présence de son autre fille, gravement malade et qu'elle a abandonné des années plus tôt à un institut spécialisé. La scène de retrouvailles entre Helena et sa mère est déjà d'une grande violence tant on sent la fausseté de la mère qui feint son plaisir à retrouver sa fille. De l'autre côté, l'enthousiasme de l'abandonnée, qui semble lui non feint, rend la scène encore plus insoutenable. Dès lors, Charlotte et Eva commencent à analyser les faits et gestes de l'autre, à anticiper leurs attentes, comme pour éviter de rentrer dans le jeu qu'elles pensent voir l'autre jouer.

Sonate d'automne parle de l'incapacité à communiquer entre une mère et sa fille, cette impossibilité à exprimer clairement ses sentiments à l'autre et qui crée les rancœurs, les haines. Eva recherche constamment l'amour de sa mère et celle-ci ne parvient pas à lui donner. La scène du piano est en ce sens extrêmement puissante, avec la mère derrière la fille, bouleversée à l'écoute de l'interprétation que fait Eva de Chopin. Mais dès la démonstration finie, et alors que Eva attend un compliment, un geste d'approbation, Charlotte est incapable de lui donner, créant ainsi un quiproquo qui amènera, progressivement au « morceau de bravoure » du film : la nuit où les deux femmes se dévoileront entièrement, la fille crachant littéralement à la gueule de sa mère toute la haine retenue pendant des années pendant que celle-ci tentera de trouver des explications à son comportement.

La fille qui a constamment été rabaissée, qui s'est toujours sentie inférieur à sa mondaine de mère, ne parvient plus à pardonner. Toute son existence est alors remise en question, mettant en doute la sincérité des rares moments d'affection que lui donnait sa mère, l'accablant du mal dont souffre sa sœur cadette sans que l'on sache si cela est fantasmé ou non. Prenant conscience du mal qu'elle a pu faire, Charlotte tente de s'exprimer enfin et laisse apparaître une personnalité fragile, qui a tout sacrifié pour son art dans le but de se voir elle-même reconnue, elle qui fût semble-t-il aussi rabaissée étant jeune. Bergman nous interroge sur nos propres comportements avec les autres : les aimes t'on réellement pour ce qu'ils sont, de manière désintéressée où est-ce une manière de se rassurer, de se consoler, de se cacher sa vraie nature. Ainsi, si Eva reproche à sa mère de ne s'être intéressé à elle que lorsqu'elle était dans de mauvaises périodes de sa vie, ne reproduit-elle pas le même schéma en s'occupant d'Héléna pour mettre sa mère mal à l'aise. Héléna qui, tentant dans s'immiscer dans l'intimité des deux femmes, restera mise à l'écart sans que l'on sache si elle aurait pu apporter le pardon que réclamait Charlotte ou finir de l'enfoncer comme Eva l'avait fait. Pour Bergman, les enfants sont donc les victimes des souffrances de leurs parents. Finalement, après cette nuit de grand déballage, Charlotte préférera fuir, comme toujours, pour oublier tout dans les bras d'un autre amant. Mais le film n'est pas pour autant pessimiste. La haine libérée, le final laisse espérer une éventuelle réconciliation, un pardon potentiel.

Il faut souligner le magnifique travail de Sven Nykvist sur les couleurs et les visages des deux magnifiques actrices que sont Liv Ullman mais surtout Ingrid Bergman, dans son dernier rôle, magistrale en mère indigne. Elle parvient à faire passer énormément d'émotions rien que par son visage, son regard. C'est un pur plaisir à observer. A côté, Halvar Björk hérite du rôle le plus positif, le mari désintéressé et véritable espoir du film par son amour inconditionnel et sincère.
ValM
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le 18 sept. 2014

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ValM

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