Ses films sur la jeunesse, Korine les réalise, et les écrit, dans une parfaite ambivalence entre défense et accusation, montrant le cool, puis l'horreur, puis de nouveau le cool, l'horreur... Etre un « kid » américain, c'est donc d'abord faire du skate en écoutant du rock MTV, rigoler avec ses potes, aller à la plage et faire péter les basses à fond dans la décapotable de papa pour lever les gonzesses. Etre un « kid » américain, c'est aussi se suicider, violer, tuer, finir par se perdre complètement dans cette obsession de la coolitude vendue par la télévision, les magazines, les publicités, bref, l'air du temps, avec lequel il faut absolument être en phase sous peine d'être out. Dans « Ken Park », Korine le scénariste se payait le luxe d'ouvrir le film sur un générique digne d'une sitcom Disney. Un gamin se lançait sur son skate, filant à toute allure, parfaitement à son aise, sautant par-dessus les marches des trottoirs, marquant le rythme de la chanson jouée sur son walkman en secouant la tête ; quelques minutes après, il s'enfournait un pistolet dans la bouche et se faisait sauter la cervelle dans un sourire perturbant. Spring Breakers est tout-à-fait à l'image de cette séquence, tout comme il est à l'image de la filmo nineties de Larry Clark : une pub pour la jeunesse sympa, libérée, ignorante et sans repères, une sorte de condamnation euphorique de cette frange de jeunes obsédés par la réalisation de soi, concept vague que dicte en permanence une société superficielle.
« Spring Breakers » est d'abord 100% conforme à l'imagerie de Korine (et, bien entendu, à celle de Larry Clark). D'emblée le film explose de fureur de vivre, de joie, d'envie d'en découdre... d'emblée on a l'impression qu'il fait effectivement bon être jeune, libre et rebelle, bien qu'évidemment on ne puisse rattacher le terme « rebelle » qu'à cette espèce d'exigence permanente de bonheur qui caractérise les personnages, qui les rend complètement gamins, immatures, et, malgré tout, attachants car bouillonnant de vie. On est vivant en riant, en criant, en faisant partie d'un groupe avec qui partager cette envie de tout péter, littéralement, pour se sortir d'un quotidien morose. C'était exactement le propos de « Kids » et « Ken Park », c'était également celui de « Bully », sur lequel Korine n'a pas participé... à regret semble-t-il, puisque c'est de ce dernier que « Spring Breakers » est le plus proche, étonnamment. Même mécanismes, même progression, à cela près que tout est ultra-accentué pour épouser la forme, du début à la fin, d'un clip vidéo. Pitch : je suis jeune, j'ai envie de vivre, cette envie de vivre va me pousser à faire des conneries irréfléchies qui me mettront dans une merde noire et me feront comprendre que l'envie de vivre est un concept plus complexe que ce qui nous est vendu par les chaînes de télé et le consumérisme ambiant. A partir de là, Korine s'éclate, et se démarque aussi de son ancien associé en versant, de manière volontairement outrancière, dans l'aspect sea, sex and sun qui rend son discours encore plus percutant et, bien sûr, scotchant – c'est très bien filmé, monté, mis en musique.
Nouveau retour à « Ken Park », avec cette séquence d'une fillette de dix ans regardant tranquillement une sorte d'Alerte à Malibu mettant en scène des filles aux formes parfaites filmées en plans racoleurs. La petite fille mime les gestes et les expressions des actrices qu'elle voit à l'écran pendant que la mère, à l'étage, s'apprête à se taper un gosse de dix sept ans. La voilà de nouveau la jeunesse de Korine et de Clark, et celle montrée dans « Spring Breakers » : un fantasme, une espèce de règle sociale à laquelle se conformer. Au lieu, cette fois, de s'attarder sur l'aspect cauchemardesque de la chose, Korine s'amuse à s'en émerveiller, allant jusqu'à vendre son film comme une sorte de « Projet X » (en beaucoup plus élégant, faut-il le préciser : la photo somptueuse de Benoît Debie, collaborateur de Fabrice Du Welz et Gaspar Noé, aide beaucoup) avant de déboulonner, toujours avec le sourire, les certitudes de ces jolies jeunes filles si avides de vie. Il ne s'agira même pas, à la fin, de pointer explicitement du doigt l'horreur que représente une jeunesse construite sur l'obsession du paraître et de l'intégration au groupe. Le groupe de « Spring Breakers » est une marée de gens, une foule sans commune mesure avec le gang de « Bully », une foule filmée par Korine avec la générosité d'un clippeur. Le film se contentera d'évoquer, le plus légèrement du monde, un léger doute, la possibilité qu'au fond, tout cela ne soit qu'une immense plantade collective aux conséquences affreuses mais inévitables. En cela, Korine signe un vrai bon film, roublard, joyeux (littéralement), triste (littéralement aussi). « Qu'est-ce qu'exister ? » semble-t-il demander, encore, et la réponse, entre deux paires de nichons, trois bitures et un Britney Spears chanté au piano, est aussi enthousiasmante que profondément sinistre, voire nihiliste. On a envie de danser sans joie à la chanson punchy et pop du générique de fin. Gagné, de nouveau.