Texte originellement publié sur Filmosphere le 23/01/2016.
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Sitôt sorti, on l’acclame déjà comme le « renouveau » de la saga, comme si ladite saga s’était éteinte il y a fort longtemps. Star Wars : Le Réveil de la Force, décrit comme « le film d’un fan pour des fans » va désormais, avec peu de doutes, faire office de clef de voûte pour la prochaine décennie hollywoodienne, placée sous le signe de la nostalgie, empaquetée comme un vulgaire produit, enfin sacrifiée sur l’autel du divertissement idiot et rétrograde. C’est la résultante d’une génération entière, s’étant sentie dépossédée de son objet de culte, et ayant surtout cru au grand mensonge démagogique qu’une œuvre appartient à son public.


« Je pense que les fans vont adorer » ironisait il y a encore quelques semaines George Lucas. L’archétype de l’auteur désavoué était paradoxalement le mieux placé pour incarner la résistance à l’heure où Hollywood s’est trouvé un hobby profitable dans une nouvelle vague de résurrections des corps sans vie d’anciens succès. Lui, qui avait reconstruit la prélogie comme bon lui semblait, maintenant son cap sur l’originalité et l’inventivité, au risque de déplaire à ceux qui ne retrouvaient pas le copier/coller qu’ils chérissent tant. Il y a plus de quinze ans, La Menace fantôme, amorçant une nouvelle trilogie, se muait en péplum biblique prenant notamment place dans une relecture fantaisiste et bienvenue de la Judée et de la Rome Antique. Au programme : course de chars façon Ben-Hur, intrigue politique solidifiée et mythologie religieuse refaçonnée. A défaut d’être un grand film, c’est une œuvre qui tentait quelque chose pour étendre son univers et mettre en place une lignée ayant une identité propre. Même le très imparfait L’Attaque des clones pouvait se targuer d’être un tournant dans la conception technique du cinématographe ((Outre le recours massif aux effets spéciaux numériques dans des proportions inédites pour un film live, c’est aussi la première super-production tournée en numérique, initiant une nouvelle génération de caméras professionnelles.)). Maintenant c’est au tour de J.J. Abrams (et d’une armée d’exécutifs, dont Kathleen Kennedy ((A noter cette amusante interview de Kathleen Kennedy (actuelle présidente de Lucasfilm) d’il y a une trentaine d’années, où elle explique que les suites sont le syndrome d’un manque de créativité.))) de se poser la question. Comment lancer de nouveau une trilogie, comment s’approprier l’esprit, comment réinventer le fameux monomythe ? Eh bien, un remake, pardi !


Car ne cherchons pas plus loin : l’essentiel de ce que vous verrez dans Le Réveil de la force est une relecture reliftée d’Un Nouvel espoir, empruntant çà et là à l’ensemble de la trilogie originale, évidemment, voire même dans les Star Trek du même J.J. Abrams (étant eux-mêmes reliftés à la sauce Star Wars, décidément, on ne s’en sort jamais). Doit-on en être surpris ? Pas vraiment. Il faut bien se rendre compte que le choix du réalisateur/faiseur en lui-même était en ce sens tout indiqué, lui qui n’a jamais fait un film réellement original, recyclant ad nauseam ses (rarement originales) inspirations à travers le prisme de la nostalgie. D’emblée, il est donc loin le temps où Star Wars fut conçu par un petit bonhomme forgé dans le creuset du Nouvel Hollywood et co-fondateur du haut-lieu d’expérimentations American Zoetroppe. L’appui de Lawrence Kasdan au scénario ne fait finalement figure que de caution pour coller au plus près à « l’esprit » soi-disant perpétré par la trilogie originale. Plus vraisemblablement, impossible de penser que l’auteur qui se cache derrière l’Empire contre-attaque ou d’autres petites merveilles comme La Fièvre au corps soit l’un des architectes d’un script aussi lacunaire et bas-du-front, symptomatique d’une panne d’audace (que l’on aura, en toute honnêteté, hélas diagnostiquée très tôt).


La séquence d’exposition présente mollement son univers déjà-vu et hautement rébarbatif. Abrams convoque (peut-être involontairement) le débarquement de Klendathu de Starship Troopers dans un assaut qui n’est pas des plus convaincants, qui manque d’ampleur. Il faut au passage noter les problèmes que pose d’emblée le sempiternel texte d’introduction. Les enjeux sont minimes et peu probants, répétés en long, en large et en travers (principalement : retrouver Luke, mais aussi retrouver Luke) alors que les informations manquent quant à ce qu’il se trame dans la galaxie. Ici et là, on cherche les détails qui retiennent éventuellement notre attention, comme une piste intéressante que pourrait à tout moment emprunter le film. L’héroïne, Rey (Daisy Ridley), est une ferrailleuse qui parcourt un wasteland madmaxien, Jakku, jalonné par les ruineux cadavres des engins impériaux échoués dans son inhospitalier désert. Le temps de quelques instants, Abrams esquisse un film de survie un peu à part, qui ne se construit non pas comme dépendant de ses références chéries, mais littéralement sur des vestiges usés témoins d’une grandeur passée. Mais cette intention, hélas, il ne s’y tient pas en ressuscitant finalement tous lesdits vestiges pour les placarder à l’écran. Il a cette fâcheuse habitude de faire étalage de son décorum à défaut de faire réellement avancer son récit. A certains égards, Le Réveil de la Force pourrait faire office de musée dédié aux bidules plus ou moins cultes de la saga. Ceci dit, pour le peu qu’elle a à présenter, l’intrigue globale n’avance pas. Pour un récit épique, c’est fort laborieux.


Les pérégrinations des fades personnages deviennent le prétexte de scènes d’action plus ou moins gratuites. Une séquence totalement superflue et hors-sujet (le genre à se retrouver en bonus de la galette DVD) voit Han Solo (Harrison Ford, trop vieux pour ces conneries) confronter chasseurs de prime et monstres dans un cargo. L’intérêt est résolument absent. Mais c’est surtout l’occasion pour le réalisateur de faire valdinguer sa caméra dans d’étroits couloirs pour donner un peu d’entrain au film. Le Faucon devient lui aussi prétexte pour un découpage qui va à droite et à gauche, bardé de mouvements acrobatiques censés simuler de la virtuosité. Mais n’est pas Sam Raimi qui veut. Car malgré ce dynamisme, quelque part revendiqué comme opposition à la mise en scène plus “classique” et posée de George Lucas, le tout demeure finalement bien peu prenant. Pire, même : c’est laid. Abrams n’a pas le sens de la mesure dans son recours aux effets. Lors de plans intégralement réalisés en trucages numériques (pas toujours très bien post-produits, le film est bien moins beau qu’Avatar, sorti il y a déjà six ans), l’image est désespérément surchargée. Il pense être Spielberg mais n’est que l’esclave de ses artifices, devenant de la sorte un cinéaste du superficiel, sans réellement l’assumer comme le fait Michael Bay. Situation ironique pour un homme qui a conçu son film comme une note d’intention anti-prélogie, jusqu’à même vanter sa manière de faire « à l’ancienne » pour finalement s’aligner sur les standards actuel dans un film contenant possiblement plus d’effets en tous genres que La Menace fantôme. Paradoxalement, Abrams parvient à filmer ses récurrents tunnels dialogués de la manière la plus plate et académique qui soit : champ, contre-champ, plan d’ensemble, le tout platement monté. Un comble pour un prétendu disciple spielbergien. Et alors, le film devient ennuyeux, car non seulement il empile littéralement ce que l’on a vu ailleurs en mieux et se paye le luxe de mal le faire. La démarche est vaine.


Et puisque l’ennui règne, on se retrouve platement à compter les éléments qui touchent à cette plaie contemporaine qu’est le fan-service. Dans l’inégal Spectre, c’était déjà un parasite qui consumait intérieurement son hôte. Mais ici, c’est devenu un xénomorphe entier. Comme si l’ancien casting, le Faucon ou autres X-Wings ne suffisaient pas, il faut composer en plus avec une nouvelle pseudo-Etoile de la mort (nommée d’ailleurs Starkiller, ultime pied de nez désobligeant à George Lucas ((Puisque pour rappel, à l’origine, Star Wars narrait les aventures intergalactiques du jeune Luke Starkiller.)), une redite peu probante et bien vilaine de l’Empereur, une nouvelle cantina, le fameux jeu d’échecs, une version alternative féminine de Yoda, une planète désertique, une planète enneigée, une planète forestière, ainsi de suite… Dans une séquence qui voit Le Triomphe de la volonté être convoqué, lorsque le vil (nazi) et impérial général Hux (lui-même redite de l’amiral Tarkin) hurle devant ses troupes, on imagine Abrams se sentir intelligent. Que d’originalité. D’aucun argueront que c’est dans la continuité de la trilogie. Auquel cas il faut peut-être rappeler la promesse matricielle de Star Wars, celle de tous les films, celle de l’origine, celle de “La Guerre des Etoiles” : voir des choses d’une lointaine galaxie et d’il y a fort longtemps. En d’autres termes, un voyage inédit. Où cela est-il passé ? C’est ignoré, ou pire, détruit. A l’image de ce qu’Abrams fait de Coruscant, potentiellement centre des enjeux post-Empire les plus intéressants, platement oubliée et remplacée par un quelconque ersatz ((Encore que ça n’est même pas totalement explicite dans le film, il faut se documenter ailleurs pour comprendre que ça n’est pas Coruscant. Invraisemblable.)) que le réalisateur aura vite fait de vaporiser dans l’indifférence la plus complète de l’assemblée. Non, il y a surtout plus important : le bras rouge de C3-PO qui triplera les ventes de figurines.


Pour cerner de manière peut-être plus concrète ces problèmes de créativité, il faut alors se tourner vers le travail de Ben Burtt. Ce prodigieux artisan du son, partagé notamment par Lucas et Spielberg, n’a eu de cesse d’avoir une facture inimitable et constamment inventive. A l’horizon d’une nouvelle trilogie et lorsqu’il faut justement tout ré-inventer (travail admirablement accompli sur la prélogie, même ses détracteurs auront bien du mal à cracher sur son envergure sonore), il n’y a quasiment rien à retenir de son apport. Forcément, l’essentiel consiste en une pêche remixée dans la banque sonore qu’il a lui-même constituée. Il ne faudrait pas croire que le détail est trivial, comme une sorte de petite puce que l’on cherche pour s’acharner : il témoigne réellement d’un état d’esprit qui englobe l’ensemble de la production. Il en va alors au passage de même pour l’illustre John Williams (qui se voit d’ailleurs ici séparé du London Symphony Orchestra) dont la partition, malgré quelques discrets moments plus réussis, s’avère des plus dispensables. Est-ce parce que le maestro est vieillissant ? Possiblement. Est-ce parce qu’on ne lui demande pas vraiment de faire autre chose ? Très sûrement.


Que reste-il en fin de compte ? Peu de choses à se mettre sous la dent. Peu de choses concrètes, en réalité. Des pistes, il y en a, certes, celles qui nous condamnent à dire “ça pourrait être intéressant si…”. Comme le personnage de Kylo Ren (Adam Driver), jeune et influençable utilisateur de la force embrigadé par le côté Obscur dont le père essaye de retrouver la trace. Le thème pourrait terriblement être d’actualité, mais le film lui-même en décide autrement. Finalement, ça n’est qu’un personnage adolescent joué par un trentenaire qui savate le mobilier tel un gamin lorsqu’il n’est pas content. Il n’est tout au mieux que la mécanique d’un drame familial in fine très automatique, car le scénario n’y consacre pas assez de temps, alors dépourvu d’émotion, confondant nostalgie et sens dramatique. Abrams résout sa tragédie en accomplissant ce qui était déjà prévu depuis trente ans ((Han Solo devait originellement mourir dans Le Retour du Jedi.)) et reporte tout ce qui pourrait être intéressant sur l’épisode suivant.


En étant optimiste, on peut espérer que cette douloureuse mise en place, reprenant du coup la structure d’une série télévisuelle (en témoigne le vague cliffhanger final qui se voit conclut par un travelling circulaire aérien – on se croirait dans Les Experts) pourrait donc prendre davantage de sens dans la suite de Rian Johnson. Peut-être. Peut-être pas. Il ne faudrait pas non plus oublier qu’un film, c’est une unité artistique, saga ou non. Mais à l’heure où le Marvel universe domine une significative partie du marché, qui s’en soucie ? Et alors, Le Réveil de la Force serait-il en conséquence le produit dérivé ultime ? Son relifting ne cache-t-il pas, quelque part, une nouvelle version de Star Tour qui rendra heureux les fans venus au cinéma comme l’on va à un parc d’attraction, gavé de sucreries, dollars en main ? “Shut up and take my money”, sont-ils parfois heureux de scander. Mais par dessus tout, si en d’autres temps on stigmatisait Lucas comme un “marchand de jouets”, il faut aujourd’hui surtout voir dans J.J. Abrams un marchand de souvenirs. Et qu’il y a-t-il de plus malheureux que l’étude de la commerciabilité du souvenir, en rendant matériel, factice et bankable l’immatériel et l’intime du concept de nostalgie ? L’année qui a vu naître le blockbuster regardant le plus en avant possible (Mad Max : Fury Road) le confronte à celui qui ne fait que regarder derrière lui, dans une marche arrière casse-gueule et inutile. Mais tant pis, place au triomphe du box-office façon Jurassic World, alors que dans les locaux de Lucasfilm-Disney, on fait déjà la fête sur fond de “Victory Celebration” ((Voire même “Yub Nub” pour les puristes qui souhaitent bouder Lucas jusqu’au bout.)) tout en préparant moult suites et autres spin-off. L’équilibre a donc bel et bien été ramené dans la galaxie hollywoodienne, J.J. Abrams a accompli la prophétie : l’originalité a fini par trépasser, succombant à une attaque de clones.

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le 29 sept. 2016

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Lt Schaffer

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