Star wars : Les Derniers Jedi est à la fois conforme à nos attentes et en même temps surprenant. Comme attendu, le récit se calque en grande partie sur la structure narrative de l’épisode 5, en resserrant la majorité de son action dans l’espace et en faisant évoluer en parallèle plusieurs personnages voués à se retrouver dans l’acte final. Mais contrairement à l’épisode 7, très premier degré, fidèle et sincère dans ses hommages et références à l’épisode 4, Les Derniers Jedi multiplie les décalages comiques, les jeux sur nos attentes et les codes de la saga.


A un niveau plus « méta », on pourrait dire que la façon dont cette nouvelle trilogie thématise le rapport entre héritage et nouveauté, tradition et modernité, prend ici tout son sens. Un vent de liberté, de fraîcheur règne sur l’ensemble, ce qui peut se lire comme le signe d’une génération de personnages qui, bien qu’encore trop attachée aux modèles du passé, s’apprête à exister par elle-même, en s’appuyant sur de nouveaux fondements. L’idée d’une filiation contrariée, de la transmission imparfaite d’un héritage est donc au cœur de l’esthétique de l’œuvre mais aussi des questionnements existentiels des personnages. Dans cette optique, si cette nouvelle trilogie se veut cohérente avec le discours qu’elle est en train de bâtir, l’épisode 9 devra totalement rompre les liens avec les épisodes canoniques


comparables dans le film aux textes sacrés jedi qu’il faut brûler


et proposer une expérience radicalement nouvelle.


La grande force des Derniers Jedi est, à mon avis, de largement complexifier le monde dans lequel les personnages évoluent. Un monde non pas compris comme un ensemble politique comme c’est le cas de la prélogie, mais comme purement intérieur. Ainsi, ce Star Wars ne met pas en scène des monolithes figés dans une identité, dans une essence permettant au spectateur de se positionner moralement, et de façon définitive, à leur égard. Au contraire, ici, il y a la construction d’un climat général qui invite constamment à la révision de nos jugements. De nombreux personnages, dont on pense deviner le caractère et la trajectoire de vie, s’avèrent en réalité plus insaisissables. De plus, les défauts des « héros », les discours mystificateurs qui les ont érigés en « légende » sont eux aussi questionnés. Cette réversibilité constante quant aux statuts des personnages contribue à l’élaboration d’une atmosphère beaucoup plus propice à l’exploration des tiraillements intérieurs des personnages centraux (Rey et Kylo Ren, mais aussi de Luke). De ce fait, il est plus facile de croire en eux, à la mise en miroir de leur choix, du chemin qu’ils croient/pensent devoir emprunter, à la marge de liberté qui leur est laissée.


Pourtant, le film peine à convaincre sur tous les points et ce pour plusieurs raisons. La scène d’introduction du film, grandiose, spectaculaire et épique, impressionne d’emblée. Mais la puissance aussi bien visuelle qu’émotionnelle de cette entrée en matière a pour conséquence que l’ensemble des événements qui suivront paraîtront, en comparaison, grandement manquer de souffle et de rythme. Le récit donne le sentiment de stagner dans son milieu, à plus forte raison parce que nous ressentons les artifices par lesquels les scénaristes essaient de justifier certaines bifurcations narratives.


Artifices dont les scénaristes ont parfaitement conscience, puisque par exemple, le détour par le casino s’est avéré inutile dans le cadre de la réussite immédiate de la mission. Néanmoins, on voit bien qu’à plus long terme, cela aura un impact : celui de poser les germes de la résistance dans le cœur d’une nouvelle génération qui saura s’élever contre l’oppression. En ce sens l’univers de Star Wars n’est pas encore un espace de la pure contingence: rien n’est gratuit, tous les actes sont reliés entre eux et auront des conséquences sur le devenir du cosmos. A ce titre, l’une des premières scènes du film, qui s’attache à cette fille asiatique se sacrifiant pour larguer les bombes sur le destroyer, est éloquente : ce personnage est humanisé d’une façon inattendue pour quelqu’un destiné à disparaître aussi rapidement dans le récit. Mais ce moment n’est pas purement gratuit, puisque sa mort permet de faire le lien avec sa sœur, qui deviendra l'un des personnages clés du récit.


Aussi, le film n’échappe pas à certaines fautes de goût assez impardonnables


princesse Leia dans l'Espace…


et à un récit qui multiplie les facilités scénaristiques minant à la crédibilité de l’ensemble


Comment croire que le personnage de Rey, qui s’annonce être la relève de la résistance, puisse, en moins de 24h, et après quelques échanges avec Kylo Ren, être assez stupide pour chercher à le rejoindre, le "retourner" et ce au cœur même de la base spatiale de ce dernier, et sans plan de secours ? Finalement, le film lui donne raison, mais elle apparaît sur le coup comme étant en effet « écervelée », inconsciente, naïve et facilement manipulable. Aussi, la bataille finale manque d’envergure et de cohérence. Je veux bien que les vaisseaux de la résistance soient des tas d’ordures, mais il ne leur faut pas autant de temps pour arriver jusqu’aux lignes ennemies… Par ailleurs, l’apparition de Luke, tout comme le retour de Rey, arrive comme un cheveu sur la soupe. Trop de coupes ont été effectuées, et cela nuit grandement à la qualité du ressenti, car on perçoit trop fortement les facilités d’écritures qui se contrefichent des soucis de cohérence… Et quand bien même la présence de Luke s’expliquerait rétrospectivement, cela n’empêche pas que la désagréable impression initiale aura minée les prétentions de ces scènes à viser au grandiose.


Star Wars épisode 8 s’avère donc être un bon cru. Son ambiance générale, beaucoup moins colorée et plus terne que l’épisode précédent, va de pair avec une exploration plus complexe des failles intérieures et des défauts propres à des personnages qui bousculent, légèrement, les catégories traditionnelles du Bien et du Mal. L’humour, finement dosé, rend non seulement sympathiques les personnages, mais se justifie pleinement au regard du discours que cette nouvelle trilogie tient sur les questions de filiations, d’héritages et de modèles du passé qu'il s'agit de respecter/dépasser. En désamorçant certaines situations qui auraient pu être trop solennelles, en contournant nos attentes, le film laisse affleurer l’idée d’un renouveau possible, aussi bien pour la saga que pour la galaxie. Espérons que cette nouvelle génération saura enfin rompre avec ses ancêtres dans l'épisode 9, et que l’Histoire ne sera pas un éternel retour du même, mais (enfin !) une exploration de nouveaux possibles.

Sartorious
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le 13 déc. 2017

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