Le Bouleversement

Constamment inattendu et mettant à mal toutes nos prévisions, ce VIIIème épisode a de quoi diviser. Qu'il le soit sur le plan de son intégrité dans la saga, je peux le comprendre tellement le film ose tout. Mais qu'il soit aussi sévèrement critiqué sur sa qualité cinématographique, ça, je ne peux m'y résoudre tellement le film regorge de moments de pure mise en scène, d'une direction artistique de haut vol, de multiples niveaux de lecture. Niveaux de lecture qui justement sont étroitement liés au bouleversement des codes. Et qui au final intègre tellement bien cet épisode à la saga.

Attention, je vous propose ici mon interprétation avec spoilers. Si vous n'avez pas vu le film, arrêtez-vous maintenant.

Les Héros bouleversés

Trouver la lumière sans jouer au héros.

Ces mots prononcés par Leïa Organa canalise la thématique centrale du film. Incarné par un Poe Dameron tellement motivé à détruire l'ennemi, le mode de pensée "classique" des héros est ici mis à mal. En mettant en scène leur inconscience et leurs échecs, le film pourrait servir de démonstration à l'adage du sage "Par la guerre, personne n'est grand".

Pour ça, Luke pense avoir trouvé la solution: ne rien faire. Perturbant, surprenant, mais tellement cohérent. En effet, le maître Jedi qu'on attendait tant de retrouver est conscient du poids légendaire qu'il représente. A cause de ça, il a cru, même 1 seconde, avoir la légitimité de détruire le moindre début d'ennemi. Même s'il a pris plus rapidement conscience qu'un Poe Dameron des conséquences de la destruction, il n'en a pas moins été trop tard. Être un héros, ça a de fortes chances de causer des malheurs collatéraux. Donc fuck it, j'en veux pas de ton sabre, ça reste une arme de guerre.

Wow. Sacré choc que ce geste. Comme si Luke nous disait que nous n'avons rien compris. Un exemple parmi 100 de moment de surprise totale. Tout comme ces plans de la Resistance qui ne mènent à rien, représentant autant d'actions dans lesquelles on se sent malmenés.

Et pourquoi cela nous bouleverse tant ? Car nous avons besoin que les héros de notre histoire nous inspirent. On ne veut pas de rejet ou d'échec, on veut être pris par la main des gentils pour gagner contre les méchants. Oui mais...

Le manichéisme bouleversé

Si quelqu'un dans l'histoire est rejeté, c'est bien Kylo Ren. La vie n'a pas été tendre avec le rejeton de Solo: parents séparés, mise en pension chez tonton... qui a pensé s'en séparer définitivement ! La trajectoire de Ben est inévitable, son ressentiment est total. Et Rey le comprend. Les 2 orphelins ont même l'occasion d'en parler. Ce rapprochement entre antagonistes nous montre un véritable équilibre, sacralisé par des scènes virtuoses où la symétrie est légion, à l'image de ce sabre en lévitation. Et c'est lors du point de rupture que Kylo lance un:

Join me... please...

L'être rejeté nous offre ici une version modernisée du "Join me" du grand-père. Ce n'est pas pour imposer à sa progéniture un parcours semblable au sien, c'est pour ne pas être seul dans celui que l'on construit.

A l'image de l'autre grand sujet du film: l'affranchissement de la lignée, la self-made Jedi. Ou l'art de rafraîchir notre rapport au "privilège" de la Force. C'est beau. C'est moderne. Ça avance !

La narration en 3 actes bouleversée

Parlons-en. Pour avancer, il avance cet épisode ! C'est peut-être le point le plus surprenant de ces Derniers Jedi: il pourrait très bien constituer le chapitre final de la trilogie. Si, si, pensez-y: ces rebondissements, ces morts, cette conclusion...

En fait, les 2 premiers opus de cette postlogie constitue un tout, avec un cliffhanger au milieu, ce qui est bien souvent l'apanage des épisodes 2 et 3 d'une trilogie. Repensez à la fin "allons sauver Han" de l'Empire contre-attaque, "la Guerre des clones a commencé" de l'épisode II, mais aussi à celle de Matrix Reloaded, de Retour vers le futur 2, de Pirates des caraïbes 2, etc.. En fait, ces Derniers Jedi bouleversent nos habitudes de 2ème acte. Il présente une vraie conclusion. Tout est possible pour le 3ème. Tout. Du jamais vu.

Finalement, ce qui nous tient en haleine pour la suite, ce ne sont pas les moments en suspens, mais bien les nouvelles règles établies.

Star Wars bouleversé

La Force n'est pas ce que l'on croit. De mysticisme boudhiste à l'approche scientifico-quantifiable des midichloriens, que nous dit la saga sur cette Force qui unit la galaxie en un tout cohérent ? Qu'elle est sujet à interprétation. La foi, la science... C'est précisément ce que Luke enseigne à Rey: ceux qui croient détenir la vérité se trompent. Y compris les Jedi. Y compris nous.

Et ce à quoi nous assistons dans ce film, c'est une nouvelle manifestation de cette énergie. Qui nous flanque une sacrée claque inattendue dans la dernière intervention de Luke.

N'oubliez pas que du IV au V, on passe d'une énergie qui relève de l'intuition (et de l'étranglement à distance) à celle qui permet de "soulever des rochers" et surtout qui peut corrompre par son côté obscur. Dans le VI, on découvre des éclairs qui sortent des mains des méchants. D'un épisode à l'autre, nous en avons toujours vu davantage sur l'utilisation de la Force. Et si ces nouvelles manifestations ont une porté symbolique profonde, c'est encore mieux !

Quel beau message que celui-ci. Oui, Luke est une légende. Mais Luke n'attaque plus. Son but n'est pas de détruire l'ennemi, mais d'inspirer, guider, donner envie de décoller vers les étoiles. Trouver la lumière.

Bouleversé, je le suis. Quel bonheur.