La bande annonce de ce film, c'est un peu comme Fight Club, cette lourde charge contre la société de consommation certes portée par un nombriliste ... dont on crut bon de faire un film pour brutes et autres petites frappes, en n'en retenant que les quelques malheureuses scènes de combat. En effet, Starship Troopers relève de ces films de SF dont, sans mentir, je dirai que le propos témoigne assez bien de l'époque dans laquelle nous vivons.


Inspiré par le roman idoine de Robert A. Heinlein, le réalisateur Paul Verhoeven - sur la base d'un scénario de Edward Neumeier adaptant librement - parvient assez bien à transcender le néofascisme de la chose portée à l'écran dans toute sa débilité morale, encore qu'il y aura toujours sur Terre des Hommes pour adorer le trip présenté (j'en connais) de même que certains adulèrent Tyler Durden (de Fight Club). C'est dire toute la charge tragique de la chose, un peu comme Clément Rosset ne juge bonne une œuvre d'art que si elle applique quelque principe de cruauté. Or ici, nous y sommes.


C'est assez simple : si vous dépouillez la société de Starship Troopers (la Fédération planétaire) de son militarisme forcené (dirigée par le skymarshall), et en l'entendant de la bonne oreille, résonnera soudain pour vous, et de loin en loin, la vérité du monde contemporain.


Cette société distingue deux catégories de membres : les citoyens, et les autres, réactualisant sous un angle la démocratie athénienne sur le mode spartiate dans l'âme, car la violence y est parfaitement assumée et le droit de vote - attribué uniquement à ceux qui ont mérité le titre de citoyen, soit donc notamment ceux qui prennent la liberté de s'engager dans l'armée - n'est pas accordé à tous. Pour entendre ça de la bonne oreille, il ne faut pas seulement se dire humanitairement que "dans le monde, la démocratie n'est pas partout, et le film en témoigne" ... il ne faut pas seulement se dire "non mais en fait cette société n'est pas la nôtre, de ce que nous n'avons pas besoin de faire quelque service pour pouvoir voter, où voter est un droit - non un devoir" ... mais il faut d'abord se dire que "la solution de Starship Troopers allèche bien des gens actuellement, de ce que l'abstentionniste ne saurait pas la valeur/le mérite, de son droit de vote, et d'ailleurs ça devrait être une obligation" ... il faut ensuite se dire pourtant que "ce droit de vote, à ce compte de la violence institutionnelle, et quand on voit de toutes façons ce que font nos politiques de nos votes, est finalement bien plus accointant qu'on ne le pense avec le nôtre" ... pour enfin se dire que "les votants peuvent se donner bonne conscience et bonne moralité citoyenne-responsable devant les abstentionnistes, et que cela n'a jamais que la dignité du conventionnel et du jugement moralisateur d'une mégère doublée d'une commère, dans une condamnation d'autrui imposée salopement à tout l'univers par les bonnes manières" !


A partir de là, on comprend toute la mise au pas conventionnaliste, qui n'est même pas un conformisme, encore que c'en a les caractères. Mais surtout, on devine toute la complexité des motions humaines sociales et historiques.


Un autre exemple : la vie des Starship Troopers (Troupiers d'Interstellaires vaisseaux) oscille entre solidarité bon-enfant mixte jusque dans les douches, et discipline de fer. Soit donc : toute la "culture d'entreprise" du pauvre ou du p'tit gars et de la nénette, recrutés chez Mega CGR, Domino's Pizza, MacDonald's, Uber, Google pour un stage, etc. - et pas que dans ces grandes enseignes, naturellement, encore qu'elles aient l'armada de moyens permettant d'assurer un tel conditionnement - "culture d'entreprise" donc qui, main de fer dans un gant de velours, contraint sans discussion à tel régime existentiel sur le mode fun.


Évidemment, personne n'est jamais tout à fait dupe de toutes ces conneries "dans la vie", mais certes dans le film "ils en sont tous et adorent ça", notamment parce qu'ils ont été ainsi form(at)és. Néanmoins, quand "dans la vie" telle personne a "enfin" obtenu d'être embauchée par de telles enseignes, et considérant la moribonderie du "marché du travail", il appert soudain que cette personne se sente redevable de son tortionnaire, dans une sorte de complexe de Stockholm imposé à tout l'univers. Finalement cette personne, ainsi qu'un jeune partant enthousiaste faire le djihad en Syrie, se sent à l'aise dans ses nouvelles baskets et croit fermement à sa nouvelle mission. C'est parfait, tout est en ordre, et qui t'es toi pour m'juger si j'me sens bien "dans ma vie" ? ... Nombrilisme explosif, n'existant même plus sur le mode individualiste mais, bel & bien, collectiviste (néomanagérial) tout comme le militarisme de Starship Troopers. Le tout évidemment, mâtiné de BCBG hyperfestiviste, réactualisant l'aryanisme nazi sur le mode olympien Loréal, Channel, Axe ou Mennen évidemment célèbre & sportif.


Tout y est, et c'est la raison pour laquelle on appréciera Starship Troopers comme machine philosophique révélatrice - en même temps qu'occultatrice, esthétiquement, dans son genre SF - des temps qui courent.


D'autres éléments en vrac, mais pas déliés :
* la mode unisexe, et l'hyposexualité conséquente (sociologiquement enregistrée à l'heure du porn) ;
* l'infantilisation massive idoine, et pas qu'idoine, avec les chefs et cheftaines sur le mode paternaliste absolu ;
* l'hypermédiatisation massive des vies, avec l'écart comm'/réalité de terrain ;
* le totalitarisme "ouvert", sur le mode soft power assumant orwelliennement son hard power (doublepensée) ;
* les axes du mal ou l'Autre est allégorisé comme fatalement hideux mais aussi, ironiquement, comme gouverné par son cerveau - et non sa connerie humaine, trop humaine ;
* etc.

MalcolmCooper
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le 6 mai 2017

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