Dans une petite ville perdue quelque part à l’ouest, deux gangs rivaux obsédés par la promesse d’un or introuvable, les Heike et les Genji, font régner une terreur qui a fait fuir une bonne partie des habitants. Entre en scène un pistolero (Itô Hideaki) agile de la gâchette, dont le regard croise celui d’une belle danseuse captive (Kimura Yoshino, Sakuran), d’une tenancière de bar mystérieuse (Momoi Kaori), et d’un des deux chefs, avec qui le destin veut qu’il croise le fer, le métal, n’importe quoi tant que ça saigne. C’est parti pour la rumba.

Le pitch vous dit quelque chose ? Possible. Pas mal de Pour une poignée de dollars, un peu de Sam Peckimpah… ce n’est pas le gros fil du récit, connu, qui vous surprendra. A part ça ? Oui, c’est japonais, comme l’indique son titre (3). Sukiyaki Western Django est un western spaghetti à la sauce nipponne, joué en anglais estropié par une foule d’acteurs du cru (dans les seconds rôles masculins, Andô Masanobu, Sato Koichi, Ishibashi Renji, Kagawa Teruyuki… et Oguri Shun !), shooté par un des filmmakers les plus tarés de l’archipel, Miike Takashi (Audition, Ichi the killer…), et comprenant dans sa scène d’ouverture nul moins que Quentin Tarantino himself. Un maelström brinquebalant. Un pot-pourri de références pluriculturelles. Forcément, pour des raisons sensiblement identiques, certains vouent le film aux gémonies, et d’autres crient au culte. Et si cette fois on prenait parti ?

SWD est donc un ovni. L’anglais pratiqué dans le film est à première vue son attraction principale, faisant sourire lorsque les acteurs le défigurent (soit le plus souvent). SWD est aussi à première vue amusant. Voir l’une des têtes du cinéma cinéphile américain des 90’s parler de la guerre des roses, étape cruciale de l’histoire du Royaume-Uni, à Katori Shingo, le talento nippon de base (4), attire l’oeil. Le camp des Heike, rouge, constitue même un élément comique en lui-même, avec son chef crétin et ses bras cassés, pour que tout le potentiel dramatique du récit échoue dans les gueules d’amour des Genji, les blancs (soit une parabole des Indiens face aux Européens… ?). Et puis, entre le "Mononofu training ain’t samurai bullshit !" du boss Yoshitsune, et le "THAT tofu is NOT authentic !" de Tarantino, la déconne se pose là. Mais contre toute attente, nous appelle un son moins superficiel. Quand l’anglais de petit nègre ne distrait plus ; quand l’étonnante discrétion de la bande originale se remarque… le fond revient au galop. Sous les applaudissements : le charme du film fonctionne plus dans ses moments sérieux ou ses combats aux excès graphiques, puis dans ses traits d’humour parodiques et furtifs, que lorsqu’il sort la grosse artillerie pour faire rire (cf. la schizophrénie démonstrative du shérif, le coming out du molosse castré, etc.). Miike sait conjuguer les tons ; certains gags resteront cultes, vernis par l’emballage ; mais l’important est ailleurs.

L’important est dans la profonde beauté bâtarde du spectacle, par-delà la question de l’utilité même de l’anglais, désormais parasite, et le léger manque de rythme, conséquence de l’hésitation du cinéaste en milieu de métrage quant à la tonalité à emprunter. Doté d’une direction artistique éblouissante d’hétéroclisme contrôlé, costumes cousus main par la designeuse d’Otaku in love, il libère son défilé de gueules qui s’y croient comme dans l’enfance, et campent leurs personnages archétypaux avec le sérieux nécessaire. Comme par hasard, face à un Itô Hideaki très propre en justicier, ce sont Iseya Yûsuke (Casshern, The Passenger) et Kimura Yôshino, déjà magnifique couple japonais aveugle de Blindness (5), qui l’emportent au jeu du charisme irradiant. Que l’on adhère à sa démarche, à son syncrétisme vaguement profane, ou non, SWD est le film le plus formellement abouti de Miike. Quand il parle, il prend le risque de distraire ; quand il se tait, les contours et les couleurs parlent. Histoire de démontrer à ses détracteurs qu’il sait y faire, Miike la joue simple : il filme les gunfights les plus virtuoses du cinéma nippon récent. Et le reste du temps, il occupe l’espace.

Et on aime. On aime le décor naturel, rarement aussi brillamment transformé en stage de pièce mégalo. On aime la rose métisse, à la fois rouge et blanche, et y voir l’enfant de la Belle naître. On aime la plongée désaxée à la Fukasaku (6) sur Iseya Yûsuke rengainant son katana en même temps qu’il dégaine son colt et fait parler la poudre. On aime le paroxysme hystérique de l’exécution du jeune père. On aime la somptueuse scène de la danse, quand la femme fatale Kimura, pieds nus sur le bois sale du saloon, se trémouse sur fond de didgeridoo. On aime la trompette ultra-référencée, qui sait se faire désirer. On aime la lueur orangée éclairant le grenier duquel le cowboy en rut Andô espionne. On aime "entendre" la fellation sur un plan fixe de pas grand-chose. On aime voir le boss Kiyômori jouer du Shakespeare dans la langue sur fond de peintures tradi. On aime quand le héros saute par la fenêtre sans se donner la peine de l’ouvrir, comme au bon vieux temps. On aime la silhouette d’Iseya ajustant la visée de son colt en mesurant l’effet du vent. On aime Quentin Tarantino en vieillard ouvrant une brève séquence Kill Billienne. On aime la réplique très nippophone de Kagawa Teruyuki à la fin. On aime la neige tombant subitement sur le duel final. On aime l’opposition du pistolet à l’épée, et le sourire ante-mortem du perdant. Tous ces éclats ne sont pas caractéristiques d’un ovni ; juste d'un putain de film. On aime beaucoup de choses donc ; puis forcément, certaines moins. Mais à la fin, on est bien calmé ; alors de Sukiyaki Western, on décide de ne rater rien.
ScaarAlexander
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le 17 août 2013

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Scaar_Alexander

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