Dans les années 60, le cinéma mandarin était dominé par deux compagnies. D'un coté, il y avait la fameuse Shaw Brothers, bien connue des fans occidentaux pour ses nombreux films martiaux. En face, on trouvait la MP&GI (ou Cathay Asia Films), quasi oubliée aujourd'hui. Si le leader de la période était la Shaw, la compagnie de Loke Tat Wah n'était pas loin derrière et rendait coups sur coups à celle des frères Shaw. A ce titre, Sun, Moon and Star est une des offensives les plus ambitieuses que la Cathay a pu lancer sur le box office Asiatique. Adaptation d'une nouvelle à succès, le film prit un an et demi à être tourné et mobilisa les membres les plus prestigieux du studio. Le résultat en est, logiquement, une sorte de concentré des qualités et des défauts made in Cathay.

La force principale de Sun, Moon and Star (Part 1), c'est son casting féminin qui sent bon le star system tout puissant. Les trois actrices principales sont constamment mises en valeurs (les visages en gros plan sont la règle) et irradient de beauté et de charisme. Ce type de traitement pourrait être bassement commercial et plomber le film, ce n'est absolument pas le cas ici, bien au contraire ! La sublimation des stars sert le récit et les personnages. Impossible de ne pas tomber sous le charme des trois actrices et, ainsi, se retrouver dans la situation de Jianbai. D'autant plus que le trio féminin délivre d'excellentes prestations. Aidées par un script à la caractérisation solide (et qui corrige certains défauts du livre), chacune peut donner la pleine mesure de son personnage. Julie Yeh impressionne par son autorité et sa détermination, Grace Chang est l'incarnation de la gentillesse et du dévouement et Lucilla Yu déploie une douceur triste particulièrement touchante. Des caractères bien différents et bien trempés, exactement ce qu'il faut pour que l'histoire de Sun, Moon and Star puisse faire mouche.

Mais cette belle mécanique a un grain de sable... Le personnage de Jianbai ! Figure centrale du récit, Jianbai sert de pivot au film. C'est à travers lui qu'on découvre chacune des protagonistes et par ses choix que l'histoire progresse. Dans ces conditions, le personnage nécessite un développement aussi important que ses partenaires féminins, si ce n'est davantage. Etrangement, Sun, Moon and Star (Part 1) passe complètement à coté en la matière. Jianbai a tout d'une coquille vide, un espèce de grand benêt sans la moindre volonté. Il ne fait que subir le récit tout au long du film sans jamais se prendre en main. Ainsi, à chaque fois qu'il rencontre une des trois stars, il en tombe immédiatement amoureux et oublie sans vergogne la précédente. Ceci jusqu'à ce qu'un événement quelconque le lui rappelle et qu'il refasse le même coup à sa fiancée du moment ! Le personnage passe son temps à voler de femme en femme sans réfléchir aux conséquences de ces actes. Si au moins c'était un séducteur au cœur de pierre, on aurait pu le comprendre mais il n'en est rien. Il est montré comme quelqu'un d'honnête et droit. On supposera donc qu'il a un cœur d'artichaut et une très mauvaise mémoire... La mauvaise caractérisation du personnage n'est pas sauvée par Zhang Yang dont le faible charisme fait peine à voir par rapport à ses trois partenaires principales. On touche d'ailleurs là une des faiblesses de la Cathay. Le studio a toujours eu une approche très féminine, que ce soit dans le type de films produits (des drames et des comédies majoritairement) où dans la mise en valeur de ses stars (les femmes écrasaient les hommes). Cette marque de fabrique de la Cathay dévoile ici son mauvais coté. Impossible de sympathiser avec Jianbai et donc de ressentir la pleine force dramatique et romantique des histoires d'amour contrariées qui nous sont contées.

Même si sa réalisation est d'un classicisme sans faille, Evan Yang s'en sort plutôt bien en conservant un certain rythme au récit, permettant au spectateur de ne jamais s'ennuyer. La tache n'était pourtant pas aisée car Sun, Moon and Star (Part 1) a parfois des airs de gros chapitre introductif. La faute à la structure de l'histoire, divisant chaque 1/3 du métrage à la présentation et au développement d'une des héroïnes principales. Un handicap hérité du livre, pas vraiment gommé dans le travail d'adaptation (même si l'on sent des tentatives dans ce sens), et dont Evan Yang se tire donc comme il le peut. Etant donné que le metteur en scène n'a rien d'un virtuose de la caméra (une remarque qui s'applique à la majorité des réalisateurs du studio), c'est déjà pas mal !

L'incapacité de corriger les défauts chroniques des productions Cathay tout en ne parvenant pas à exploiter au maximum les forces traditionnelles du studio fait de Sun, Moon and Star (Part 1) un film un peu décevant. Heureusement, le second volet va partiellement effacer cette mauvaise impression...
Palplathune
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le 1 mars 2011

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