Supergirl, allégorie du Refus au Renoncement

Des terres vagues et noires, désolées dans toutes les acceptations sémantiques du terme. Une bourrasque froide et inhospitalière. La nuit éternelle. Du rouge sombre, du vert sombre, du marron sombre: tout est sombre. Un homme dans son abri, qui se ronge les sang, perpétuellement. Son passé: le génocide qu'il n'a pas voulu, des maux causés par sa jeunesse d'esprit. Alors, aujourd'hui ? Des pincées d'aigreur. C'est absolument rebutant, oui, mais quand on s'y fait cela devient presque délicieux.
Ce paragraphe peut parler de Zoltar, le personnage de Peter O'Toole dans Supergirl, et de la Zone Fantôme dans laquelle il se tient volontairement enfermé. Mais il peut tout aussi bien parler de certains cinéphiles modernes, des esprits modernes quels qu'ils soient d'ailleurs ...
Et cette réplique de Chaplin dans le Dictateur, tragique de vérité: "Nous sommes devenus inhumains à force d'intelligence"....


1984, début des années 80, encore sous l'influences des seventies, pas encore déprimé, nous inspire quoi actuellement ? Un roman d'anticipation d'Orwell prédisant la novlangue et la cancel Culture, au mieux. Le deuxième volet des aventures de la nouvelle Wonderwoman du DCU, au pire. Un roman de Murakami décalqué d'Orwell, peut-être ...
Et si 1984 nous rappelait une autre superhéroïne d'un temps plus joyeux ? Si 1984 nous inspirait Supergirl ?


Supergirl, soyons honnête, on le sent bien en visionnant le film, c'est la volonté d'un spin-off au Superman de Reeves, qui d'ailleurs apparaît sur une affiche. La copie féminine de Superman, jusque dans le tourbillon final qui met à mal le complot triomphant de l'antagoniste.
Supergirl, c'est aussi une histoire faite à la va-vite, sautant d'une péripétie à l'autre à la super-vitesse de son héroïne. L'élément déclencheur est si rapide et si peu spectaculaire que le spectateur l'assimile aisément à une petite bourde à réparer sans en mesurer la portée effroyable. Kara, qui a fuit en habit long et blanc à bord du vaisseau improvisé et préparé par Zoltar pour sa propre exploration de l'univers, sort sur Terre immédiatement vêtue de son costume de Superman à jupette, sans explications. Sur cette planète Terre, il y a de vrais sorciers et de vraies sorcières et cela ne surprend personne. La transformation de Kara en Linda se fait en claquement de doigt et, si elle s'improvise une identité terrienne avec l'efficacité d'un Kyzer Söze, son acceptation dans son petit univers se fait littéralement en accéléré le temps d'une absence théâtrale du directeur d'école. De même pour les franches et profondes amitiés, voire les amours qui tiennent de la sorcellerie voire du philtre d'amour immédiat. Selena, la méchante de l'histoire - excellente Faye Dunuway qui s'inspire de Luthor tout en s'en démarquant admirablement, s'appropriant son personnage pour lui donner des airs de sorcières et de méchantes tragiques de tableaux pré-raphaélites ou néo-réalistes - instaure sa dictature d'opérette en un rien de temps, à la façon de Jafar dans le dessin animé de Disney. Les péripéties se chevauchent, comme lorsque Supergirl veut partir affronter Selena et que Selena lui ravit celui qu'elle aime au même moment pour l'attirer jusqu'à elle ... ce qu'elle aurait volontiers fait sans ...
On l'aura compris: Supergirl, c'est extrêmement simpliste et sacrément guimauve. Ajoutons à cela le motif de la fête foraine qui alourdit certains James Bond et son sort est scellé, partant ses notes et critiques sur sites sont exécrables.


Alors pourquoi se rappeler de Supergirl ?
Justement pour sa candeur, son innocence, son côté guimauve qu'incarne avec charme la belle Helen Slater, interprète de Kara.
Supergirl, c'est avant tout une réécriture de Blanche-Neige et de la Genèse: le princesse d'un autre monde qui part chez les Terriens - des nains, pour les habitants de Krypton - à la recherche d'un globe de pouvoir - sorte de pomme, fruit de la connaissance. Elle devra affronter une sorcière qui devient aussi une Méchante Reine, qui souhaite être la plus belle sur Terre, s'accaparer un prince charmant et détruire la belle et jeune princesse qui lui fait de l'ombre. Une femme négative qui, à l'aide du globe, acquiert un savoir interdit aux Terriens, pas encore suffisamment avancés, avec l'aide d'un expert en magie noire qui cherche à la duper et qu'elle va duper à son tour: Ève et le serpent. La naïveté du film s'explique avant tout par la lecture herméneutique qu'il demande et par sa structure de conte de fée. Rappelons que Superman est construit sur le modèle biblique du Christ.
Supergirl, c'est une terra incognita pour le spectateur oublieux des années 2010-2020: c'est le reliquat d'un temps encore insouciant, où le féminisme pour être affirmé n'en était pas moins juste et non fanatique, où la bonté n'était pas encore sujet de raillerie pseudo-critique, où les effets spéciaux tenaient des efforts posés sur le réel et non des bidouillages numériques à obsolescence programmée en poudre aux yeux pour le chaland, où l'on savait aussi rire de sa galerie de personnage sans que le film sombre dans le spoof-movie, où l'on cherchait à émerveiller le spectateur en faisant s'émerveiller les personnages devant de réelles splendeurs, où les femmes n'avaient pas peur de porter la jupe ni les super-héros de porter des costumes ("ce n'est pas un costume, ce sont mes vêtements."), où l'on prenait un plaisir enfantin à suivre une histoire plutôt qu'un déplaisir adolescent à critiquer la façon de raconter l'histoire (un grand merci ironique et acide à MM. Robbe-Grillet, Ricardou, Gide, Rivière et à Mme Sarraute, qui s'étonneront, sans doute, de voir leur noms accolés à celui de Supergirl).


Car Kara/Linda/Supergirl, c'est une jeune femme aux yeux très clairs, aux yeux très doux et souriants, aussi belle brune que blonde, luminescente, qui ne renonce pas, qui ne baisse jamais les bras, face à ses découvertes les plus basses - les deux pestes d'école qui veulent échauder leurs camarades par pure jalousie ou les deux camionneurs qui veulent la violer - comme les plus existentielles - la perdition géographique et morale, le déclin, le désespoir.
Supergirl, c'est cette éternelle naïve au sens étymologique, cette bonne sauvage, cette jeune adulte aux coeur d'enfant, qui lutte pour ou contre des êtres aigris. Pour Zoltar, qui a accepter sa peine et se drogue à un liquide verdâtre qui lui insuffle l'habitude de la déchéance et l'acceptation du désespoir et du laisser-aller, pour le sortir de cet état d'être. Pour Ethan et Bianca, changés en simples spectateurs de plus en plus critiques et égoïstes mais toujours passifs, comme derrière un écran, boîte de pop-corn sur le bras. Pour Lucy et ses amis que l'on veut faire taire parce qu'ils veulent exprimer le vrai qui n'est pas bon à dire. Contre Selena - figure visionnaire de la future MeToo de notre époque - qui s'enferme dans son rôle de méchante Reine de Blanche-Neige pour mieux accepter son âge, sa situation sociale, son renoncement à la vie.


Les afficionados de personnages secondaires drôles et sympathiques et les amateurs de doublage seront ravis avec les personnages de méchants de Nigel et surtout de Bianca, surtout en VF où Préjean et Pradier les subliment. Les fans de Mia Farrow seront certainement déçus de ne que l'entre-apercevoir en début de métrage.
Et les critiques acharnés de l'invraisemblance d'un Clark Kent/Superman qui n'a qu'à enlever ses lunettes pour n'être plus reconnu seront surpris devant la transformation d'Helen Slater par sa simple couleur de cheveux. Comme quoi ...


Pour toutes ces raisons, Supergirl est un film à voir.
Naïf, certes, mais pour appeler à l'insouciance, à l'optimisme et au courage de ne jamais céder et de rester toujours dans le refus du renoncement.
Nul n'est obligé de la suivre, nul n'est contraint de l'aimer.
Vous êtes Zoltar, dans sa Zone Fantôme: à vous seul revient de sortir de notre triste temps aigri par sa pseudo-intelligence ou de prôner le retour de l'insouciance.

Frenhofer
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le 13 avr. 2021

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