Ayant adoré le Suspiria d'Argento, œuvre majeure du giallo et du cinéma d'horreur s'il en est, j'étais vraiment enthousiaste à l'idée d'en voir un remake, d'autant plus que je pense que ce film s'y prête bien.


Suspiria version 1977 adopte un style visuel très particulier, et installe une atmosphère qui lui est propre. Et heureusement, Guadagnino ne tombe pas (contrairement à Gus Van Sant avec Psycho) dans le panneau qui consisterait à faire une version modernisée, « au goût du jour » (quoi que ça veuille dire), de l’œuvre d'Argento. Il revisite complètement le film original : changements notables dans l'écriture des personnages, le scénario, le style visuel, l'ambiance. Plus qu'un remake, c'est un film alternatif, parallèle au premier.


C'est précisément l'idée que je me fais du bon remake. L'os, c'est que Suspiria version 2018 a beau être pourvu de très bonnes intentions, ça n'en fait pas un bon film pour autant...


Guadagnino complexifie la trame en introduisant des personnages supplémentaires, notamment le personnage du psy. Ce n'est pas inintéressant en soi, mais ça ralenti vraiment l'action. Le film est captivant la première demi-heure, puis s'essouffle. Et étonnamment, malgré un rythme assez peu soutenu, le montage est très cut, la première scène - qui n'est qu'un dialogue - en témoigne, et honnêtement ce choix m'a paru très bizarre. Mais ça, c'est un ressenti purement subjectif.


Ce remake retire au film original quelques-unes de ses grandes qualités, à commencer par le mystère que celui-ci entretenait tout au long du film. Le remake n'a rien de mystérieux, bien au contraire : nous n'avons pas le point de vue restreint de la principale protagoniste (si tant est qu'elle soit considérée comme principale), mais adoptons un point de vue multiple, et sommes au courant dès le début des agissements des antagonistes. Le mot « sorcière » est d'ailleurs prononcé dès la première scène du film, là où Argento laissait longtemps planer le doute.


Ce choix est scénaristiquement très faible, on veut suivre tous les personnages, et finalement on ne s'attache à aucun en particulier - et surtout pas au personnage de Dakota Johnson - et surtout on n'a pas peur.


Pour pallier ce manque d'accroche et d'éléments effrayants, Suspiria nous offre vers la fin une scène dantesque de rituel sorcier, qui se veut gore et impressionnant. C'est peut-être le passage où le film m'a le plus déçu : Guadagnino renoue les liens avec le Suspiria d'origine sans grande subtilité alors qu'il avait réussi à s'en émanciper. Par ailleurs, le grossier filtre rouge est loin d'avoir le même charme que les éclairages du film d'origine. Cette scène, qui se veut être une apothéose sanglante, m'a laissé de marbre en raison de ses faiblesses visuelles.


Aussi, je ne suis pas contre le choix d'un destin totalement différent pour le personnage de Dakota Johnson, ni contre la relation ambigüe et indescriptible qu'entretien ce personnage avec celui de Tilda Swinton, mais je trouve que tout est assez bancal, mal amené, et que Guadagnino veut être trop à l'opposé du film d'origine, si bien qu'on y perd une certaine cohérence narrative. Je pense que le film est particulièrement obscur, et aurait mieux fait de ne pas l'être.


Et je suis bien attristé de dire tout cela, car Suspiria partait vraiment d'une bonne intention. On y retrouve d'ailleurs des scènes qui témoignent à la fois d'émancipation et d'inventivité de la part de Guadagnino, comme les scènes de rêves, ou encore celle de la première danse de Susie. Malheureusement, je trouve que je film n'est pas assez maîtrisé pour mettre en valeur sa bonne volonté du réalisateur.

Monsieur_Cintre
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le 3 déc. 2020

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Monsieur_Cintre

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