Tangerine par Clément en Marinière

Si l'on aimerait ne pas céder à l'effet d'annonce, abusivement ressassé, du tournage presque improvisé de Tangerine, mené tambour battant sur une poignée de jours avec une troupe de comédiens non professionnels, force est de constater que le résultat, d'une étonnante tenue, ne manque jamais d'impressionner. Pur produit de l'école fauchée et décomplexée du mumblecore, Tangerine a le mérite infini d'extraire ce cinéma sauvage des ateliers d'artistes tamisés où ses derniers représentants, Lola Bessis et Ruben Amar (Swim Little Fish Swim), entre autres, l'avaient injustement cantonné, pour le ramener sur les lieux de ses premiers émois : la rue. Tangerine, comme une tempête, ouvre aux spectateurs la vie chaotique de deux transexuelles des rues de Los Angeles, l'indomptable Sin-Dee Rella et la plus posée Alexandra, qui naviguent entre intrigues amoureuses, tapin sordide et discrimination ordinaire. Produit inélégant de son époque, le premier long-métrage de Sean Baker alterne avec souplesse télé-réalité informe et coquetteries de mise en scène : une passe psychédélique dans un car wash, une séquence de cabaret flottante, une plongée sordide dans un hôtel de passe et même le dîner de famille d'un homosexuel refoulé, incarnation de l'horreur domestique la plus absolue, sont comme autant d'éclats tranchants qui parsèment le magma tour à tour émouvant et insondable de Tangerine, à peine ternis par l'agressivité de son habillage sonore et la maladresse de son rythme. Fidèle jusqu'au bout à son projet et à ses origines fauchées, ce petit grand film, qui rappelle par instant ceux du rebelle Sono Sion, ouvre une perspective éclatante sur l'avenir du cinéma indépendant américain, peut-être, sait-on jamais, débarrassé de ses pavillons de banlieue, de ses logorrhées interchangeables et de ses intrigues sentimentales tristement banales.

ClémentRL
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le 7 janv. 2016

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