Pour moi, Taxi driver est un cri d'alarme contre le danger de l'enfermement en soi-même. C'est un peu Juliette des esprits en mode violent.
Je viens de le revoir, après 15 ans. Sans surprise, je m'en souvenais bien. J'avais un peu oublié les scènes avec les collègues chauffeurs, par contre je me souvenais de l'histoire du candidat de la présidentielle, de la scène de démonstration des armes, et tous les monologues, je les avais bien en tête pour avoir pendant un temps écouté en boucle la bande originale.
Mais à chaque fois, ce qui me frappe, c'est le descendance incroyable de ce film. Au niveau formel, c'est très étrange : il y a une patte qui est plus celle d'un film d'auteur européen ou d'un court-métrage que d'un film américain standard. Les plans sur les rues de New York filmées à la caméra portée ou ceux vus à travers le pare-brise, avec tous ces reflets d'enseigne, ou encore ces plans où l'on voit le taxi au premier plan, tout cela a un cachet de film d'auteur.
Et pourtant, au niveau du traitement de la violence, que de films des années 1980-90 on pourrait citer qui sont les bébés directs de Taxi driver et de sa fameuse scène finale de fusillade. Car ce n'est déjà plus la violence seventies des Dirty Harry et consort, c'est déjà une violence plus ritualisée, calculée et pourtant outrancière. Le fameux ressort à flingue de Travis peut rappeler Robocop ou d'autres, et l'on est presque étonné que ce dernier ne sorte pas une punchline en tuant le gros moustachu qui lui dit "Je vais te tuer". Le thème du vétéran qui devient sociopathe sera repris, sur un mode bien plus romantique, dans le premier Rambo. Je pense aussi à la violence des films de John Wu ou à Tueurs nés d'Oliver Stone.
Que dire sinon qui n'ait pas encore été dit sur la bande-son de Bernard Herman, sur l'interprétation de De Niro, sur le fameux dénouement (qui pour moi est clairement un fantasme de Travis, fantasme qui commence après qu'il se soit assis dans l'ombre après avoir tiré une balle dans le ventre de Sport) ?
Malgré tout, Taxi driver est un film que je n'arrive pas à aimer, malgré le chef-d'oeuvre qu'il est indéniablement. A choisir, dans les films urbains nocturnes de Scorsese, je trouve After hours plus généreux et plus méritoire, car il prend plus de risques. Ici, la descente aux enfers est parfaite comme une belle voiture chromée, mais un peu froide. Disons que c'est un film-choc, il ne vaut mieux pas le visionner trop souvent pour sa santé mentale, et j'aurais du mal avec une personne (comme j'en ai déjà rencontré une) qui me dirait que Taxi driver est son film préféré.
Mais c'est un très grand film, qui trace une ligne. La ligne au-delà de laquelle l'individu perd les repères traditionnels de la société et devient un monstre imperméable à l'émotion, qui du coup se perd dans des chimères. Et c'est important.