TEMPÊTE DE SABLE aurait pu apparaître comme une œuvre un peu déjà vue de par sa thématique lointaine – celle d’une jeune génération moderne opposée aux traditions archaïques des parents. On repense au sublime Mustang de Deniz Gamze Ergüven qui avait marqué les esprits en 2015. Il s’agissait alors de la jeunesse turque. Fin 2016 sortait Hedi de Mohamed Ben Attia, sur une romance impossible en Tunisie, peu après le printemps arabe. Ici, la réalisatrice Elite Zexer filme un village bédouin, tandis que sortira dans un mois Noces (22 février 2017) sur une jeune pakistanaise à qui est proposé un mariage traditionnel. Les pays et les décors changent, mais pas les discours ni la volonté de s’émanciper de ces nouveaux réalisateurs. Ou plutôt « réalisatrices » en ce qui concerne Deniz Ergüven et Elite Zexer. Avec TEMPÊTE DE SABLE c’est par la qualité de son écriture, la maîtrise de son récit et de ses protagonistes que cette dernière parvient à se démarquer.


TEMPÊTE DE SABLE surprend immédiatement par la relation qu’entretien Layla avec ses deux parents. Il nous est en effet présenté une mère, étonnamment plus traditionnelle, tandis que le père semble plus ouvert. C’est Jalila qui refusera que Suleiman installe un nouveau lit dans sa maison en raison de la présence de femmes pour assister à son mariage. C’est elle qui se sentira honteuse d’avoir déchiré sa robe, et sera obligée d’accepter celle de sa fille, qui fera là un premier sacrifice symbolique. C’est aussi elle qui s’opposera à ce que Layla revoit son petit ami, et même qu’elle tente d’en parler à son père. Pour le spectateur, la prise de parti se fait naturellement. Mais ce n’est pas si simple. Et Elite Zexer parvient à nous dévoiler le vrai visage de ses protagonistes avec une grande délicatesse, comme une évidence qui jamais ne nous brusque. Il faut dire que la réalisatrice évite soigneusement de tomber dans une forme de cliché de cette situation, simplement en construisant ses protagonistes avec autant de qualités que de défauts, n’en faisant jamais des personnages manichéens mais bel et bien construits autour des nuances qui animent leurs croyances et leurs décisions.



« Tempête de sable tient en lui la simplicité des grands films »



En effet, ce vrai visage que dévoilera le père, n’en fait finalement pas quelqu’un de foncièrement mauvais. Simplement un homme qui n’a, selon lui (ou plutôt ses croyances), pas le choix d’agir de la sorte. « Tu devrais faire ce que tu veux et non pas ce que tu dois » lui assènera Jalila avant de le mettre à la porte en se mettant du côté de sa fille, quitte à être répudiée par son mari. Surprenant, TEMPÊTE DE SABLE le devient de plus en plus tandis que se dévoile la complexité de la relation entre Jalila et Suleiman – il s’agit finalement d’une triste histoire de couple qui ne se comprend plus – tout comme les sentiments cachés d’une mère pour sa fille. Cette histoire de famille basculant doucement vers le tragique, n’en est pas moins d’une grande beauté.


Porté par deux interprètes qui jouent la carte de la retenue, complété par la fougue de la jeune et lumineuse Lamis Ammar, TEMPÊTE DE SABLE tient en lui la simplicité des grands films. Elite Zexer restant toujours dans l’instant présent, ne s’embarrassant pas d’artifices – aucune musique additionnelle pour accompagner les images, aucun plan d’ensemble, elle reste à hauteur de femme. Elle passe ainsi d’un personnage à l’autre (de la fille à la mère principalement) avec élégance pour témoigner d’une réalité. Sans tomber dans le pathos la cinéaste se distingue dès son premier long-métrage qui parvient à nous charmer autant qu’à nous attrister dans ses derniers instants qui verront Layla faire le choix du sacrifice.


Par Pierre, pour Le Blog du Cinéma

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le 26 janv. 2017

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