Wong Kar Waï s'était essayé au kung fu avec The Grandmaster (2013), c'est au tour d'un autre cinéaste asiatique, adulé par les critiques occidentaux, de s'engouffrer dans le film de genre : le film de sabre. Avec The Assassin, Hou Hsiao-Sen créé une véritable oeuvre d'art, où la mise en scène et le cadrage porte une histoire sinueuse et embrouillée


Chine, IXe siècle. Formée par une nonne aux arts martiaux, Nie Yinniang (Shu Qi) est une justicière qui s'en prend aux tyrans. De retour dans sa famille après de longues années d'exil, l'assassin se voit donner comme mission d'ôter la vie à son ancien amant Tian Ji’an (Chang Chen)...


Sans arme, ni haine, ni violence. The Assassin commence par une séquence en noir et blanc et la faillite de son héroïne à tuer sa cible car attendrie par l'enfant qui se trouve sur les lieux. Puis vient le retour de la couleur où le rouge sang du titre enveloppe le cadre. Mais pendant près de 2h, le sang ne coulera pas. Un long métrage n'aura jamais, aussi joliment, mal porté son nom, grâce à un cinéaste qui n'a pas peur de suivre les chemins de traverse. Hou Hsiao-Sen (HHH) prend des risques et surprend son monde en raréfiant les scènes de combats, développant l'image d'un assassin qui ne tue pas.



La Dame en noir



Ce n'est pas tant l'action qui intéresse HHH dans The Assassin mais plutôt le destin de cette jeune femme devenue tueuse malgré-elle. Car, même si elle manie la lame comme personne, "la dame en noir" a encore du mal à exécuter les ordres sans que les remords ne remontent vite à la surface. Alors, lorsqu'on lui demande de s'attaquer à son ancien promis, tout se bouscule dans sa tête : Doit-elle agir selon ses sentiments ou respecter, comme un bon soldat, le souhait de l'ordre à laquelle elle appartient ? HHH filme dans toute sa splendeur son combat psychologique, créant un personnage féminin complexe et fort. Coupée en deux, Nie Yinniang se bat avant tout pour sa liberté afin de choisir sa propre voie. Cet état transpire dans la réalisation de HHH avec ce mouvement perpétuel de la caméra qui, comme le personnage principal, ne sait pas où se poser, ou encore dans la captation du vent omniprésent, annonciateur d'une mort imminente ou d'un changement radical.


Vendu comme un film de sabre, le genre n'est qu'un prétexte au réalisateur pour ancrer The Assassin dans la Chine du moyen âge, offrant ainsi des cadrages sublimes, riches en détails. Hypnotisé, le spectateur scrute constamment l'arrière-plan des personnages, le contexte des objets qui les entourent. La caméra joue avec les étoffes et les voiles tandis que la lumière tente de se faire une place dans l'obscurité. Plus que de simples images filmées, chaque plan est une véritable toile de maître, sublimant ce qui se trouve à l'intérieur, des décoratifs imposants du palais à une simple branche. Une esthétique loin d'être figée grâce à la mise en scène tout en mouvement et aérien de HHH. Le cinéaste Taïwanais reste avare en plans fixes, préférant les longs travellings qui s'effacent seulement au profit des séquences de combat, construites avec des plans très courts et un montage dynamique.



Un film de sabre qui coupe dans le récit



Des prises de vues visuellement époustouflantes qui se suffisent à elles-mêmes. C'est un peu là, le défaut de The Assassin. Beaucoup de chef d’œuvres de notre époque semblent parler plus à leurs réalisateurs qu'au public qui paye son ticket. Terrence Malick étant peut-être la figure de proue. HHH n'hésite pas à prendre cette voie, laissant le spectateur sur le bas-côté. Avec ses fondues au noir et ses ellipses, The Assassin propose un récit trop morcelé et embrouillé pour que l'on se sente véritablement emballé. Les personnages apparaissent puis disparaissent, les intrigues se multiplient sans que l'on comprenne vraiment comment elles sont arrivées. Certes, il est parfois bon de se perdre dans une oeuvre surtout quand la forme est digne d'un objet d'art mais ce partis pris en dissuadera plus d'un à se laisser porter.


D'une beauté à couper le souffle, The Assassin n'a pas volé son prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes. On se laisse séduire par ses cadrages travaillés et par les interrogations de son héroïne, partagée entre son devoir et ses sentiments. Dommage que le film, par son récit, ne parlera qu'à une frange de spectateurs.

claudie_faucand
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le 10 mars 2016

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