The Bacchus Lady
6.8
The Bacchus Lady

Film de E J-Yong (2016)

Ce film signé Lee Jae-yong présente des personnages inattendus dans des situations franchement non-conformistes, abordant des sujets qui permettent de découvrir la Corée (du sud) sous un jour semble-t-il aussi réaliste que détonnant. Sujet principal, ce que vit Youn So-young (Youn Yuh-jung) au quotidien : se prostituer malgré son âge (65 ans), pour survivre. On notera au passage que si le film évite le voyeurisme malsain, il montre néanmoins So-young dans l’exercice de sa profession, dans le parc où elle rencontre ses clients, en tête-à-tête avec ceux-ci à l’hôtel et même en action (pour qu’on réalise bien à quoi elle est réduite). Qu'on se rassure, le film ne vise absolument pas le genre pornographique. Le réalisateur évite également la provocation gratuite : les clients de So-young sont de sa génération, voire même plus vieux qu’elle. On notera au passage l’ironie du prénom So-young.


Et puisqu’il est question de son activité, on voit So-young consulter un médecin pour une maladie vénérienne, maladie qui va l’obliger à modifier ses pratiques pour continuer d’exercer son métier (aspect scabreux inévitable). A l’occasion de cette consultation, un incident grave se produit, puisqu’une femme poignarde un médecin dans le dos. La femme était accompagnée d’un jeune garçon, d’origine philippine. Par bonté (humanisme ? inconscience ? provocation ? instinct maternel ?) So-young prend le jeune garçon par la main et l’entraine avec elle avant l’arrivée de la police. La voilà qui court le risque d’une accusation pour enlèvement.


Le petit garçon philippin rappelle à So-young le fils (souvenir de la présence américaine en Corée après la guerre), qu’elle n’a plus vu depuis longtemps (il vit aux Etats-Unis). Comme si elle n’avait pas suffisamment de sujets de préoccupation, voilà que So-young rend visite à un ancien client et ami à l’hôpital. Un homme désormais grabataire qui souffre énormément de sa totale absence d’autonomie, au point qu’il voudrait en finir.


L’exposé des données peut faire craindre le pire. En réalité, le film s’attache à une femme vieillissante, mais pas une vieillarde. Une femme qui s’en est toujours sortie par ses propres moyens, une femme au passé complexe qui côtoie toutes sortes de personnes. Malgré ses difficultés, elle ne renonce jamais et même elle trouve le moyen non seulement de donner de sa personne (oublions comment elle gagne sa vie), en s’occupant comme une seconde mère d’un gamin qui ne lui est rien, en discutant avec des personnes qui n’ont aucune place officielle dans la société coréenne (là où elle habite, sa propriétaire transgenre et un locataire unijambiste qui ne cache pas sa prothèse) et en se montrant à l’écoute des souffrances de désespérés de sa génération, plus proches du troisième âge que de la tranquille maturité. Comment s’étonner qu’ils souffrent de solitude ou de diverses maladies toutes plus « agréables » les unes que les autres ?


Le plus étonnant dans ce film, c’est que les événements dramatiques ne l’empêchent pas de viser par moments du côté de la comédie. Peut-être parce que les Coréens sont naturellement plus dynamiques (optimistes) que l’expression « Pays du matin calme » traditionnellement utilisée pour qualifier leur pays.


Ce que le réalisateur cherche à mettre en évidence, c’est que la Corée (du sud), toute tournée qu’elle soit vers la réussite matérielle, livre à eux-mêmes une étonnante quantité d’individus et ce probablement depuis longtemps (voir l’origine du fils de So-young). En cherchant à faire une sorte d’inventaire de tous ces laissés pour compte, le réalisateur Lee Jae-yong en fait sans doute trop, mais il dresse un portrait décapant de la Corée (ce qui fait écho au récent Tunnel de Kim Seonh-hoon). En effet, tout ce qu’il aborde est tabou chez lui. Seoul, ville mégalopole est vue comme un ensemble assez séduisant car lumineux vu d’un hôtel de luxe, alors que So-young a plutôt l’habitude des hôtels miteux. Et même si là où elle va chercher ses clients (en proposant une boisson énergisante, petit rituel de connivence), le parc apporte de la couleur avec sa verdure, l’ensemble est plutôt terne. Au crédit de Lee Jae-yong, on peut souligner que son scénario lui-même est parfaitement clair, malgré tout ce qu’il intègre. C’est tout juste si on remarque que certains points sont à peine effleurés, ainsi l’homme que So-young observe manger dans un restaurant. Pour le spectateur occidental non prévenu, de nombreux détails intéressants risquent de rester noyés dans la masse. Par contre, le personnage de So-young notamment est bien mis en valeur par la composition de Youn Yuh-jung, actrice d’expérience qui a accepté un rôle peu gratifiant.


Après bien des déboires, So-young qui en a fait beaucoup se fait logiquement arrêter. La scène se passe dans un cabaret où une jeune et charmante chanteuse retient l’attention avec « Quizas, quizas, quizas » chanson célèbre (interprétée notamment par Nat King Cole et Doris Day) entendue dans La mauvaise éducation d’Almodovar et In the mood for love de Wong Kar-wai. Scène symbolique, car on réalise finalement que la séduisante chanteuse ne fait que du play-back. Le décor coloré et les jolis sourires ne sont donc là que pour les apparences, mettre en valeur la musique. Celle qui connait la musique, c’est So-young qui va jusqu’à considérer qu’au moins, en prison elle aura trois repas assurés par jour. Qui sait, peut-être (traduction du mot quizas) So-young sortira-t-elle de ce mauvais pas en faisant valoir sa bonne foi ?


Film vu à Vesoul le 12 février 2017, au 23ème FICA (Festival International des Cinémas d’Asie) où j’étais invité sur proposition de SensCritique. Merci à SensCritique et à toute l’équipe du FICA !

Electron
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le 19 mai 2017

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