Au début des années 80, l'ancienne toute puissante Shaw Brothers ne parvenait pas à enrayer son lent déclin commercial et artistique. Pourtant, ce n'était pas faute d'essayer. Afin de reconquérir le cœur du public, le studio lançait alors des productions dans tous les genres possibles : Wu Xia Pian sous acide (Buddha's Palm, Holy Flame of the Martial World), films de Kung Fu old school (Eight Diagram Pole Fighter, Lion Vs Lion), tentative de science fiction parodique (Twinkle Twinkle Little Star), comédies grasses (Hong Kong Playboys) ou encore films d'auteurs estampillés nouvelle vague (Love in a Fallen City, Hong Kong Hong Kong).
L'horreur était également une tendance régulièrement exploitée par le studio de Run Run Shaw. Cela ne date pas d'hier d'ailleurs. La SB a ainsi produite toute une gamme de longs métrages au milieu des années 70, destinés à effrayer les foules (Black Magic, Human Lantern). Ces films se révèleront de bonnes opérations pour une Shaw de plus en plus tournées vers l'exploitation, à la fois peu coûteux et capables de générer des recettes fort correctes. Dans les années 80, la Shaw occupait toujours le terrain dans ce domaine, profitant même de l'essor soudain que le genre connaissait dans l'ex-colonie sous l'influence d'une poignée de jeunes turcs de la nouvelle vague (The Spooky Bunch, The Imp). Or, le studio a un spécialiste maison quand il s'agit de mettre en scène des films d'horreur : Kwei Chi Hung, réalisateur de Corpse Mania, la série des Hex ou encore Killer Snakes. Kwei est en toute fin de carrière quand il travaille sur Boxer's Omen. Cet état de fait, cumulée à l'atmosphère de fin de règne du studio et la nécessité de surenchère face à la concurrence, pousse le metteur en scène dans ses derniers retranchements et donne naissance à une des œuvres les plus extrêmes du genre en provenance de Hong Kong.

Suite très éloigné de Bewitched, Boxer's Omen ne présente que peu d'intérêt au niveau du scénario. Celui-ci n'est qu'une très vague histoire de vengeance très vite parasitée par l'intervention d'un sorcier Thaïlandais adepte de la magie noire. C'est à ce moment là que l'œuvre de Kwei Chi Hung révèle toute sa valeur, dans une débauche de rituels magiques cannibalisant l'intégralité du récit. C'est un véritable raz de marée de sorcellerie auquel on est confronté, susceptible de donner le tournis tant les idées les plus barrées s'accumulent sans temps mort. Kwei ne semble connaître aucune limite, que ce soit dans le répugnant le plus abject au kitsch le plus ridicule. On passe ainsi d'une séquence où un sorcier Thaïlandais mâche et régurgite (dans le même plan) un anus de poulet (!) à l'invocation d'un gigantesque crocodile en papier mâché. Cette incroyable générosité horrifique suffirait à elle seule à enterrer tous les concurrents sur le même créneau. Mais le film se distingue également par le soin apporté à sa mise en scène et à sa direction artistique. Rare sont les films de sorcellerie en provenance de Hong Kong qui peuvent se vanter d'avoir été tourné dans différents pays (Thaïlande, Hong Kong et Népal), d'exhiber des décors amples et élaborés (merci les studios de la Shaw Bros) et d'arborer des couleurs éclatantes pas loin d'un Mario Bava de la grande époque.

Cette référence Italienne n'est pas innocente car on peut légitimement penser que Kwei avait eu l'occasion de visionner quelques longs métrages d'exploitation en provenance de Rome tant cette surenchère mi-gore, mi répugnante fait penser aux œuvres des petits maîtres du genre (Lucio Fulci et Ruggero Deoddato en tête). Cela ne veut pourtant pas dire que Boxer's Omen n'est qu'une simple transposition de ce type de films dans un nouveau lieu. Car l'œuvre de Kwei fait preuve d'une sensibilité Asiatique unique qui achève de donner tout son sel à ce Boxer's Omen. Ainsi, c'est dans une véritable plongée dans la mystique Bouddhique que l'on est transporté. Le metteur en scène s'est considérablement appliqué à donner forme à des notions théologiques telle que cette longue initiation de Philip Ko où les soutras récitées prennent forme dans son corps.
L'adversaire du camp Bouddhiste, la sorcellerie Thaïlandaise, est également bien représentée avec une bestiaire fantastique aussi originale que fidèle au folklore local. On retiendra ainsi, parmi les nombreuses créatures surnaturelles, cette tête volante rappelant la fameuse Penanggalan ou encore cette femme reptile aux capacités démoniaques. Des monstres en tous genre que l'on ne peut trouver que dans l'univers mythologique bien spécifique du sud est Asiatique.
Cet incroyable débordement de créatures maléfiques propre au folklore de la Thaïlande, bien que fidèle aux croyances locales, obéit à la dynamique classique des films de sorcellerie en provenance de Hong Kong. La Thaïlande y est une nouvelle fois décrite comme un pays aux traditions étranges et dangereuses. Même en dehors de l'aspect fantastique, les personnages normaux issus du pays, tel que le boxeur rival, sont décrits comme des hommes mauvais. Une attitude particulièrement évidente lors de la cérémonie où le commentateur Thaïlandais fustige les actes du boxeur en provenance de Hong Kong. Une attitude regrettable mais qui fonde le genre. La mise en valeur du Bouddhisme dans sa forme dite Theravada, majoritaire en Thaïlande et plus généralement en Asie du Sud Est, fait toutefois office de léger contrepoint à cette tendance semi-raciste.

Œuvre hallucinante et halluciné, Boxer's Omen est assurément LE film de son auteur. Il représente également ce que la Shaw Brothers, et le cinéma de Hong Kong dans son ensemble, a fait de plus extrême en matière de cinéma horrifique. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, on ne peut en tous les cas pas nier ce caractère unique et singulier au film de Kwei Chi Hung.
Palplathune
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le 12 janv. 2011

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