Souvent, la beauté du cinéma réside dans le hors-champ. Ce procédé permet de dissimuler tant les évidences que les subtilités, laissant à l’imagination le loisir de combler le vide.

C’est un moyen élégant d'éviter les lourdeurs, nous implique dans l’histoire. Si le silence qui suit Mozart est encore du Mozart, le hors-champ d’un réalisateur, c’est surtout du spectateur. Le public peut se figurer des séquences parfaites puisqu’il a le loisir de se les projeter.

The Chaser propose ainsi quelques formidables hors-champs. Formidables tant qu’on ne se risque pas à remplir les quelques vides qu’on pourrait prendre pour de la finesse. Prêtons-nous à l’exercice sur deux séquences qui m’ont plongé dans la plus grande perplexité :

UNE GAMINE DANS LA RUE

La môme est dans une voiture. A côté d’elle, Tête de nœud somnole en se remettant d’un mauvais coup. Là, une femme vêtue de blanc s’avance dans une ruelle. Serait-ce sa mère ? Elle lui ressemble étrangement. Tellement même qu’elle ne peut la laisser s’évanouir dans la nuit. La gamine la poursuit en silence.

Plus tard, nous la retrouverons inconsciente, amochée à côté d’une poubelle. Nous n’entendrons plus parler de cette présence et ne connaîtrons jamais la raison ni l’auteur du méfait. La scène manquante devait souligner qu’une fillette n’a rien à faire à errer dans les rues de Séoul, qu’un être fragile n’a d’autre choix que voir sa pureté entachée dans la capitale des actes de violence gratuits. Il suffit d’y réfléchir à peine pour que la subtilité se volatilise.

Malgré un propos aussi lourd que gratuit, la séquence suivante atteint des sommets encore plus abracadabrants :

ET AVEC CECI, CE S’RA TOUT ?

Alors qu’il est filé par une flic, le tueur tombe nez à nez avec sa victime de la veille. Détestant le travail inachevé, il la massacre avec l’épicière dans la boutique, s’aspergeant d’hémoglobine comme lors d’une séance de bukkake. Après, nous le retrouverons observant la tête et les mains de sa victime bien en évidence dans l’aquarium de son salon.

La séquence intermédiaire qui n’a sûrement pas été écrite, c’est quelque chose, ni même pensée, c’est plus grave, devait montrer le meurtrier sortant avec un sac de provisions baignant dans le sang, saluant la policière qui lui aurait sûrement rendu son sourire avant de le laisser partir. Soudain, se rappelant le principe d’une filature, elle jeta un œil à l’épicerie – qui tenait désormais plutôt de la boucherie à ce moment du film – oublia de nouveau sa tâche de coller l’assassin au derrière puisqu’elle perdit sa trace dans la ruelle même où se trouvait son logement.
Je ne sais pas vous, moi j’aurais adoré assister à cette scène.

Bref, The Chaser est un film terriblement mal écrit, une succession de Deus Ex Machina et autres aberrations qui m’ont fait totalement décrocher. J’ai rougi de honte devant l’indigence de son écriture, m’excusant auprès des amis avec qui j’ai décidé de le visionner et ne pourrai m’empêcher de rire à la face de quiconque saura trouver ce film fin et subtil. Ce qui réside dans ses hors-champs me fait méchamment déchanter.
Akami
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le 16 janv. 2015

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Akami

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