C’est sans surprise que le film déçoit, et le goût de la déception n’aura jamais été aussi amer (tant d’attente, tant de buzz et tant de matraquage marketing pour ça, ça auquel on rêvait pas mal, ça auquel on avait envie de croire…). Échec et mat donc pour le revival Batman de Christopher Nolan qui en a désormais terminé avec cette satanée chauve-souris (en attendant de découvrir la production du Superman de Zack Snyder et celle des inévitables futurs spin-offs de Catwoman et de Robin). Si l’on pouvait rejeter en bloc Batman begins (bancal et dispensable) et regretter plusieurs scories dans The dark knight, il faut bien avouer que cet ultime chapitre clôt la trilogie par un large excès de complétude. C’est confus, c’est fouillis et c’est laborieux, et s’il doit bien exister en ce monde une version longue à ce machin déjà beaucoup trop long, version qui ne réduirait pas en bouillie le scénario, les événements et la continuité des scènes, cette version donc serait un véritable supplice.

The dark knight rises est proprement interminable, harassant, excessivement ennuyeux, criblé d’incohérences, de raccourcis, de clichés et de séquences ratées (le combat final entre Batman et Bane par exemple, alors que le premier, surpuissant, promettait justement un dernier round monumental). Et puis j’aimerais quand même bien qu’on m’explique par quel miracle une colonne vertébrale brisée en deux peut se métamorphoser, quatre mois après, en une simple vertèbre déplacée (Batman aurait-il une moelle épinière en adamantium ?), et ce au-delà de tout rationalisme, pointillisme et sens du détail. Ne parlons même pas de l’inutilité et de l’incongruité risible du personnage de Marion Cotillard qui, elle, l’actrice, le rend moins engageant encore et devrait songer à reprendre des cours pour savoir jouer convenablement un trépas digne de ce nom (quel instant magique : ce ne fut alors qu’hilarité et gausseries dans la salle !). Comment peut-on sérieusement s’enflammer pour cette galimafrée à la morale tristounette et aux mécanismes ostentatoires ?

Nolan, nouveau bateleur spécialiste de la poudre aux yeux ? Il serait grand temps alors de le remettre à sa place, habile faiseur hollywoodien plutôt malin, et non pas génie proclamé du blockbuster dit "intelligent" (on regretterait presque l’époque de Memento où Nolan savait surprendre sans balancer l’artillerie lourde). Ni inspiré ni inspirant, The dark knight rises pérore à propos de rachat, de dépassement de soi et de courage (individuel ou collectif), tout en se la jouant "chroniqueur du monde" (les allusions à la crise financière et aux inégalités sociales sont vaines et maladroites) en déployant tout l’arsenal de symboles rebattus d’une Amérique à l’agonie (Wall Street en charpie, New York/Gotham sous les décombres, drapeau américain déchiqueté, foule d’indignés…). Le film traînasse pendant plus d’une heure, coincé entre ses prétentions de critique sociale, les atermoiements pas vraiment subtils de Bruce Wayne (je dois m’y remettre ou je dois raccrocher ? On s’en fout chéri, si on pouvait juste passer à autre chose…) et le plan de Bane qui met trois plombes à se concrétiser enfin.

En revanche, les relations tourmentées entre Batman, Bane et Catwoman (et leur passé respectif aussi qui semble chacun les lier à quelque chose de l’ordre du traumatisme, de la peur à surmonter, qu’elle soit physique pour Bane, psychologique pour Batman ou plus "sociale" pour Catwoman - paraître exemplaire et se volatiliser, tout simplement) sont passionnantes, mais trop souvent parasitées par un empilement d’intrigues et une multitude de personnages secondaires, et auraient pu donner lieu à une dramaturgie plus sombre, plus complexe et plus introspective (un trio infernal qui s’entre-déchire pour le contrôle illusoire d’une ville entière, réduite ici à un îlot anarchiste) que cette histoire bidon de réacteur à fusion et de menace nucléaire, absolument inintéressante, rabâchée (énième désamorçage d’une bombe prête à exploser), et noyée sous les décibels d’une musique toujours aussi envahissante venant surligner la moindre envolée lyrique, spectaculaire et/ou pyrotechnique.

Il fallait en tout cas des adversaires qui soient de taille face au Joker flamboyant qu’Heath Ledger avait su magnifier (sublimer même) dans The dark knight. Tom Hardy en Bane s’en sort avec une âpre majesté et confère à cette montagne de muscles une aura impressionnante de brutalité et de terreur ; dommage alors qu’il apparaisse si peu sur les 2h40 du film, mais au moins chacune de ses apparitions est un régal, jusqu’à la révélation finale qui le voit soudain fragilisé, à terre, les yeux pleins de détresse et d’humanité. Anne Hathaway est également impeccable en Selina Kyle (alias Catwoman), apportant à son rôle une classe et une ambiguïté à la fois séduisantes et réjouissantes (tout en parvenant à rivaliser avec Michelle Pfeiffer qui l’avait littéralement vampirisé dans l’inégalable Batman : Le défi de Tim Burton).

La mise en scène appliquée de Nolan (mais ample dans les scènes d’action) ne renouvelle rien et ne se démarque pas vraiment de la masse mainstream actuelle. Sa soi-disant maîtrise de la narration reste finalement très formatée (début fastidieux, enchaînements sans audace, final saturé et décevant dont le twist minable relève de la pure supercherie), et The dark knight rises, sous ses allures de méga-production crépusculaire et sentencieuse, camoufle très mal ses oripeaux conventionnels (quelle marge de manœuvre la Warner a-t-elle réellement laissée à Nolan ?). Intéressant (navrant ?) de lire un peu partout des critiques faussement enthousiastes qui ne se privent pourtant pas de pointer du doigt les nombreux défauts du film, mais en font fi avec une facilité déroutante qui laisse songeur quant à l’objectivité autour d’un tel projet ; projet tellement attendu et tellement déjà "culte" qu’il est pratiquement interdit de cracher dessus parce que c’est Batman, parce que c’est Nolan et parce que c’est Nolan (alors que c’est juste Nolan).
mymp
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le 18 sept. 2012

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le 18 sept. 2012

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