Sympa, un film avec une réflexion intéressante sur le temps!


D'accord, la réflexion n'est pas super rigoureuse (comme cette critique qui va suivre) et se laisse porter par sa créativité, mais est-ce un mal?


On rejoint un peu les idées bergsoniennes du temps avec au centre: la liberté.
Ici les personnages, s'ils se laissent aller au confort, à la vie facile, perdent leur présent et leur vie, en fait, leur liberté.
Dans l'Énergie spirituelle, Bergson s'efforce d'inciter ses lecteurs à comprendre l'importance de la réflexion dans la vie quotidienne (comme tous les philosophes, il nous encourage à devenir des philosophes). Il faut fuir le confort, les habitudes, les automatismes, la routine. Pour lui, voilà ce qui différencie l'homme des autres animaux: la conscience, la réflexion. C'est parce que nous faisons des choix (nous apprenons, nous découvrons) que nous maintenons notre conscience en éveil, en vie. De même, il faut vivre dans le présent: se remémorer trop souvent le passé (créer une boucle de temps passé qu'on revit sans arrêt dans le présent), regretter, revient à oublier que nous vivons dans le présent: il n'y a qu'en agissant dans le présent qu'on peut gagner sa liberté. Le passé nous enchaîne: il est terminé et ne changera pas: on ne peut pas le modifier, le travailler, le choisir. Faire des choix, c'est être libre: construire sa vie, conquérir le temps, bâtir l'histoire.


Ici le grand frère est clairement bergsonien, tandis que le petit, hédoniste, préfère la vie facile.
Deux conceptions du temps et de la vie s'opposent: pour le grand, la vie se construit, se découvre (la fameuse image du plongeon dans le lac, symbolisant depuis l'Antiquité (mythe de Dionysos) la conquête du savoir et surtout de la connaissance de soi) et passe nécessairement par une certaine dose de souffrance et de désillusion, travail et déception (mais bonheur suprême d'être libre). Pour le petit, le but de la vie, c'est se faire plaisir. Une conception un peu faible de la philosophie épicurienne, qui encourage à bâtir sa vie autour du plaisir et à accepter la souffrance si elle conduit à du plaisir. Il est donc d'accord pour mourir violemment de temps en temps, du moment qu'il peut avoir la vie dont tout ado rêve la plupart du temps (copains - filles - alcool - jeux).


Ce qui m'a au départ déçu, c'est qu'on n'en sache pas plus du monstre. Et puis je me suis rappelé que j'aimais bien que les auteurs/réalisateurs évitent de tomber dans le piège fatal de montrer le monstre: cela conduit presque toujours à une déception, voir au ridicule.
Ne pas le montrer laisse planer le mystère et travailler l'imagination.
Sans compter qu'on a tout de même pas mal d'indices sur ce monstre, et des indices intéressants!


C'est un étrange monstre super puissant qui tue des gens, les surveille sans cesse sans qu'ils puissent le savoir, les prend en photo, les filme. Il les enferme dans des boucles temporelles, les obligeant à mourir soit d'eux-mêmes, soit par lui / et du coup, soit à le vénérer, soit à le rejeter, à tenter de lutter contre lui.
J'ai bien aimé la scène de la petite mise en abyme.


Pour ma part, ce monstre me fait penser à la vie en société et aux réseaux sociaux en général (pas seulement ceux qui passent par internet).
Est-ce que la société (notre famille, nos amis, nos collègues, nos voisins...) ne nous surveille pas tout le temps? Est-ce qu'elle n'est pas toujours prête à nous sortir des dossiers sur nous, pour nous faire prendre conscience que nous sommes à sa merci? Est-ce qu'elle ne nous enferme pas dans des sortes de boucles temporelles de routine, comme le travail et les soirées ( ce qui est amusant dans ce film, c'est que le jeune frère critique l'ainé en lui disant que la vie qu'il leur impose n'est qu'une répétition infinie de routine du travail, et que l'ainé reproche au second de choisir une vie de répétition infinie de journées de colonie de vacances oisive)?
Et finalement, peut-être n'est-ce même pas la vie en société ce monstre, mais simplement nous-même, notre propre conscience, notre mauvaise conscience. N'enregistrons-nous pas dans notre esprit, dans notre corps, tous les événements frappants de notre vie, qui nous construisent ou bien nous traumatisent? N'est-ce pas nous-mêmes qui nous enfermons volontairement (mais pas nécessairement consciemment) dans ces boucles de passé, ces schémas de vie qu'on répète indéfiniment (les systèmes de défense qui nous structurent et peuvent nous empêcher d'être libre, d'affronter la vie, dont on ne peut se défaire que par la psychanalyse)?


Car si nous nous abdiquons, si nous fuyons ou nous agenouillons face à la vie, nous pouvons aussi bien devenir esclave de notre travail qu'esclave de nos familles ou amis, ou encore de nos peurs. Et devenir esclave... c'est perdre sa conscience, cesser de faire des choix, cesser d'être libre.


Le film décrit trois attitudes face à la vie:
- l'acception, la vénération de notre condition de misérable mortel: le camp (et bim dans la face de tous les croyants du monde: derrière le mot "secte" nous avons ici la croyance en général qui se cache très mal). Vivre dans la répétition d'un éternel schéma de vie (comme en proposent toutes les religions) qui répète les mêmes gestes, les mêmes rituels. Un éternel schéma qui prédit une fin redoutable que le fidèle est obligé d'accepter comme "quelque chose de sacré" et d'incompréhensible comme il est dit dans le film.
- Ou alors le rejet mais sans accession à la liberté, avec les deux crétins de la maison de bois (Mike?) et l'autre pendu. On rejette la divinité sans cesser de la craindre et sans être assez créatif pour pouvoir y échapper (oui, combien de fois pouvons-nous lire des critiques de facebook sur une page facebook par exemple? ou de la société par des gens qui vivent dedans et ne participent à aucune activité pouvant la changer? Que cherchent à faire ces gens? Montrer qu'ils sont super rebelles? Mais être rebelle, ce n'est pas juste détruire ce qu'on aime pas, c'est aussi proposer quelque chose de mieux à la place). Ces personnages me font penser au suicide nihiliste (cf Dostoïevski et Nietzsche) avec leurs morts de plus en plus violentes qui ne servent absolument à rien sauf à montrer leur mécontentement.
- Ou enfin, être bergsonien et vive la liberté et tout et tout. Construire le temps par la prise de conscience de sa propre liberté et de sa puissance d'agir.


Bref, gloire à Bergson qui me permet de philosopher sur des films sympathiques. Même s'il est tout de même un peu pénible avec sa liberté qui est toujours la clef du mystère (aucun sens du suspense ce mec).

VioletteArdloch
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le 25 avr. 2019

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