The Forest of Love
6.8
The Forest of Love

Film de Sion Sono (2019)

Sion Sono m’ennuie. C’est bien le réalisateur que j’adorerais détester autant que celui que j’aimerais aduler. Mais je n’arrive à aucune des deux extrémités. Trop jusqu’au-boutiste peut-être, mais je n’arrive même pas à trouver de raison valable en réalité. Ayant vu plusieurs de ses pièces maîtresses, je peux tout de même contextualiser un strict minimum une de ses dernières créations, The Forest Of Love, au sein d’une filmographie aussi foisonnante qu’acidulée. L’homme est passé par plusieurs styles et quantités d’approches allant du drame à la comédie en passant par le thriller et l'érotique. Créateur fou-furieux, provocateur, esthète et violent, c’est bien simple, Sono Sion a ravi la place de Takashi Miike depuis une quinzaine d’années au titre de réalisateur que l'Occident aime, avec facilité, voir comme l'égérie japonaise du choc mi-entrailles mi-nichons. Cold Fish a succédé à Visitor Q. Japan What The Fuck quoi.


Ma critique sera succincte puisque je pense que ce film s’appréciera différemment si l’on est coutumier ou non de la longue filmographie du japonais. Ici, je parlerai en tant que spectateur ayant déjà vu une bonne douzaine de ses œuvres, notamment les plus distribuées.


Pour l’histoire, c’est une galerie de personnages qui se rencontrent autour de la figure d’un manipulateur qui aura tôt fait de retourner chacun d’entre eux autour de son charisme morbide. Avides de réaliser leur premier film amateur et névrosés à des stades divers, de jeunes tokyoïtes voient leurs destins entrer en collusion avec l’élément perturbateur du récit, Joe Murata. En s’intéressant à l’histoire de la société japonaise contemporaine, on s’aperçoit vite que ce personnage, mi-escroc mi-gourou religieux teinté d’idole populaire, n’est autre selon Sion Sono qu’un avatar d’une déviance sociale nippone ayant surtout explosé au cours des années 1980 et 1990. Bien entendu, nos protagonistes ne réaliseront pas leur film de la façon qu’ils le souhaitent et tout ira de mal en pis jusque dans un final de violence et de surréalisme cruel. On en profite pour explorer la désagrégation de la cellule familiale ainsi que les thèmes de la sexualité, de l’amitié et des difficultés de la création artistique.


Le film est long : plus de deux heures trente. Et malgré cela, certains objecteront que même si foule de thèmes sont abordés, la narration chaotique et parfois illisible dilue toute tentative de structurer le propos de l’auteur. On ne comprends pas, c’est flou, pourquoi les personnages agissent ainsi. Certains, c’est parfois ceux qui découvrent le cinéma de Sion Sono. Et de mon côté, je l’affirme, le film ne sera jamais trop long.


Car en réalité, il y a un sens : The Forest Of Love est un film-somme. Et là encore une fois Sion Sono m’ennuie. Parler d’un film-somme déjà, c’est pas simple et surtout c’est un format piège pour estimer la qualité intrinsèque du film. Le réalisateur met à nu l’habillage de son récit pour n’en garder qu’une acide explosion de cruauté, carrément viscérale pour couler de façon plus digeste toutes les thématiques dans un moule unitaire. Difficile d’accès mais je reconnais la démarche particulièrement habile.
Et c’est d’autant plus visible quand on a en tête les films du Sion : le gourou et la manipulation de Love Exposure, les relations familiales de Cold Fish ou du glauquissime Strange Circus, la sexualité et la place de la femme japonaise de Guilty Of Romance ou Tag, sans oublier le cinéma comme medium dans Why Don’t You Play in Hell… Je conviens que je viens de faire une belle liste de course, mais c’est justement le propos. Sion Sono relie entre eux chaque film-thème dans un seul fil conducteur ma foi plutôt adroit.


Cette démarche est tout de même dangereuse. Car si The Forest Of Love apparaît comme un grand film introductif aux néophytes, et je reconnais cette qualité, il pose deux problèmes aux autres : Même en trois heures, Sion n’aura pas le temps d’explorer avec autant d’habilité les thématiques qu’il se sera évertué à développer sur plusieurs films, de durée similaire voire supérieure par ailleurs. Évidemment le peps mordant et nihiliste de la violence de cette forêt d’amour fait le boulot, mais on ne saura que conseiller aux curieux d’explorer les films que j’ai cité auparavant dans ma liste de course. Le talent de Sion s’exprime mieux lorsqu’il prends son temps plutôt que dans une synthèse, serait-elle d’excellente facture. D’autres métrages à l’écriture plus classique comme Land Of Hope ou Himizu traitent de ces thèmes dans une dichotomie bien plus fine des déviances sociétales japonaises avec un autre thème, un autre sentiment que les insulaires interprètent d’une façon toute personnelle : l’espoir.


Et surtout, Sion Sono a t-il encore quelque chose à dire ?

Créée

le 15 mars 2021

Critique lue 270 fois

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