Sans regrets, la vie serait dérisoire. Il aura fallu environ dix ans à Wong Kar Waï pour accoucher de cet immense projet : rendre hommage à Ip Man, maître du Wing Chun et mentor de Bruce Lee, dans une Chine envahie par le Japon.

En voulant brosser le plus de thèmes possibles, le cinéaste aboutit à un récit trop condensé avec de nombreuses ellipses. Au bout d'un certain moment, nous ne savons plus forcément où nous sommes. La guerre est mentionnée mais ne sert que de fond historique à la narration. Il faut sûrement aller voir du côté des deux premiers Ip Man pour en savoir plus. Mais lorsque nous savons que le réalisateur voulait appeler son film « The Grandmasters » en souhaitant retracer de nombreux styles de combats, on sort forcément déçu en ayant l'impression d'avoir assisté à une sorte d'aperçu de ce qu'aurait pu être cette œuvre, déjà grandiose.

Car The Grandmaster reste grandiose. Les combats sont d'une rare magnificence. Chaque coup porté aux corps sonne comme une note de musique, et l'ensemble des attaques fait penser à une œuvre symphonique. En effet, Kar Waï n'a pas privilégié le visuel au sonore. Le public pourrait fermer les yeux qu'il comprendrait tout de même ce qu'il se passe à l'écran. Les protagonistes ne semblent pas se battre mais bien danser entre eux. Une danse à la chorégraphie somptueuse où chaque mouvement est calculé. Un réel bonheur pour tout spectateur qui se respecte.

Le Kung-Fu n'est pas qu'un style de combat, c'est une philosophie de vie. Et l'on a l'impression que le cinéaste n'a pas insisté sur cet aspect. Et pourtant, il se dégage de ses personnages une sérénité absolue, un contrôle de soi que nous n'avons pas l'habitude de voir en Occident. Cette sensation, nous la devons aux deux excellents interprètes Zhang Ziyi et Tony Leung, des habitués de Wong Kar Waï.

Que dire de la technique utilisée pour donner à ce film un caractère unique. La musique est somptueuse et possède des allures de grands classiques, à l'image du brillant 2046. Et comment parler de ce film sans mentionner cette magnifique photographie aux couleurs chaude et intimiste, où le cinéaste se plaît à filmer ses acteurs au plus près pour capter le plus d'émotion possible. Lorsque nous contemplons ces plans d'ensemble, nous ne pensons plus aux œuvres symphoniques mais à des tableaux picturaux, où la composition du cadre est admirable.

Certains affirmeront que le chinois abuse d'images saccadées, mais nous dirons que cette technique fait partie de son art, et de cette poésie qui n'appartient qu'à lui. En regardant The Grandmaster nous avons conscience d'assister à quelque chose de grand, et c'est notamment par sa fabuleuse mise en scène que cette impression surgit.

Alors oui, on sort de la salle avec des regrets, comme une sensation d'inachevé. Mais nous repartons également avec de fabuleuses images en tête. Comme si Wong Kar Waï nous avait transporté dans une autre époque, une nouvelle culture, un nouveau cinéma.
Hugo_Harnois_Kr
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le 10 févr. 2014

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Hugo Harnois

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