L'art de faire la même chose toute sa vie?

Des remakes américains de films d'horreur nippons, The Grudge 2004 se situerait, si l'on en croit sa réputation, en sommet de panier, juste derrière le Ring de Verbinski. Film important pour la lisibilité des films outre-Atlantiques en occident, il s'inscrit en pleine apogée de carrière de Sarah Michelle Gellar (elle venait d'enchaîner Buffy, Souviens-toi l'été dernier, Scream 2, Sex and the City, Sexe intentions en terminant par la duologie Scooby Doo), carrière qui s'éteignit juste après.


L'actrice, bloquée dans les années 90, proposait pourtant une prestation intéressante : loin des écarts bimbo du désastre de sa Daphné, elle campe une aide de vie ni trop victime ni trop héroïne, personnage plein de justesse à la psychologie et au développement cohérents. Sans être non plus d'une profondeur exemplaire, elle complète un casting d'autres seconds rôles aux visages connus, de William Mapother à la trop rare Clea DuVall (géniale dans The Faculty), casting qui compte en point d'honneur la présence réjouissante d'un Bill Pullman malheureusement trop rare à l'écran.


Toujours réalisé par Takashi Shimizu (qui ne fit décidément que s'occuper de cette saga toute sa carrière), The Grudge 2004 profite d'une jolie photographie et d'un sens de la narration attestant d'une maîtrise certaine du genre et de ses codes. Là où le metteur en scène aura pu faire ses armes sur ses précédents films au budget moins confortable, on sent ici l'étendue de sa liberté d'action visiblement amoindrie par l'américanisation heureusement relative de son horreur.


Certes moindre qu'avec le Ring de Verbinski, elle se transmet principalement par une édulcoration de son horreur, qui perd à la fois en violence et en symbolisme : là où l'original avec ceci de fascinant qu'il marquait le spectateur au point de le faire terminer ses nuits en cauchemars, l'horreur de cette version américaine se tourne trop du côté du clipesque (flash de lumières et projo blanc/bleu seront de mise) et du jump scare vieillissant pour marquer les esprits autrement qu'en se disant que tout cela a tout de même pris de sacrées rides.


Cette horreur sans grande imagination enferme un mythe d'épouvante saisissante dans son époque (les années 2000 et leurs codes hérités du clip visuellement agressif et douteux) et son budget : là où ses moyens relativement confortables pour l'époque laissaient prévoir des effets réussis, la mise en scène, loin d'être habituée à la tentative, inscrit ces tentatives horrifiques dans un kitch aux fortes tendances de téléfilm horrifique qu'on trouverait au rabais chez Cash Converters.


Si l'on est encore loin de la débâcle de The Grudge 3 (affligeant DTV qu'il est difficile de suivre attentivement plus de vingt minutes), il faut reconnaître qu'on est tout de même loin de la tension solide d'origine, ou de l'efficacité constante de Verbinski (pour clôturer la comparaison). Toutefois, s'il ne maîtrise de toute évidence pas les codes qu'il emploie, Shimizu excelle par ses cadrages et sa photographie, élément important pour avoir autre chose à regarder lorsque le reste est décevant.


Toujours très millimétrés, précis et rigoureux, ses plans restent en tête encore longtemps, et font regretter la durée une fois écoulée la survenue de cette horreur à l'américaine des années 2000. Loin d'être aussi fin que ce que le talent de son metteur en scène laisse penser, The Grudge 2004 termine trop simplifié, trop grand public pour finalement plaire au plus grand nombre, notamment aux amateurs d'horreur pure (ceux qui finalement auraient été les plus à même de le revoir plusieurs fois).


Les autres, particulièrement ceux en quête de message postés en filigrane, pourront toutefois se contenter de cette jolie parabole faîte autour de l'immigration américaine étendue dans un pays que les élites dirigeantes de la nation de l'Oncle Sam avaient couvert de stigmates difficilement effaçables (le temps lui-même peine à consolider les restes laissés par les bombes A). C'est autour de cela que le film tourne : le modernisme américain emménageant dans une maison japonaise (elle aussi moderne) qu'une malédiction ancestrale et fantomatique vient consumer.


Outre l'évidente opposition entre culture moderne et traditionnelle (déjà présente dans l'oeuvre originelle), la question de la place de ces immigrés est gérée de manière intelligente et neutre : qu'ils soient rejetés par les uns ou acceptés par les autres, ces occidentaux nouvellement arrivés sont autant revendicateurs qu'intégrés, et finissent pourchassés par un esprit incarnant (possiblement) un Japon d'un autre temps que les expérimentations douteuses des armées auront laissé dans un état de traumatisme abominable.


Là où les fantômes s'érigent d'une certaine manière en justice du peuple (c'est partir loin, en effet), il est tout aussi amusant de se dire que tout ce que je viens de dire tient de la branlette intellectuelle mal placée, Shimizu et les producteurs ayant surtout (ou surement?) placé des personnages américains campés par des acteurs familiers pour attirer les foules dans les salles et lancer une nouvelle franchise internationale, partagée entre le marché occidental et asiatique.


Entre réflexion intéressante sur la place de l'immigré dans un pays qu'il a détruit et fumisterie sans autre propos que celui de récolter le maximum de thunes, The Grudge 2004 n'est ni un bon ni un mauvais film qu'on peut autant apprécier pour ses cadrages que pour la lisibilité qu'il a offerte à un cinéma d'horreur nippon peu diffusé jusqu'ici dans le monde occidental. A vous de juger s'il mérite ou non sa réputation de référence de remake horrifique.

FloBerne
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le 11 mars 2020

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