Une blague de lâches futés mais pas brillants préférant pas trop savoir de quoi ils parlent

Farce horrifique à l'état d'esprit lamentablement confus derrière son opportunisme fracassant. Lorsque la source de ce jeu est exposée, un sentiment authentique en guise de lecture politique se dessine : les conspis sont en train d'écrire la réalité, tout en poussant au crime et ouvrant la voie à la réalisation de leurs fantasmes (autrement dit, quand les gueux sont tondus, c'est qu'ils ont soufflé l'idée au berger – sans quoi lui se serait contenté de textoter, se conformer, réussir et vider des bières sans gluten avec ses collègues). Si ce n'est ces fous, au moins ce sont les « déplorables » qui sont en train de nous dicter l'agenda !


Vision à la fois passe-partout et modérément délirante, bon marche-pied pour le maintien de l'ordre social et du récit dominant ; vision que le film n'étaye que lâchement, comme il ne sait agir que sur ce mode. Car The Hunt fuit toute explication solide (c'est d'ailleurs ce qui lui permet de maintenir l'attention et de garder une certaine vivacité). On ne saura jamais [formellement] où se situe ce film joueur par rapport à ce qu'il énonce ; jusqu'au-bout c'est un sous-Red State. Un élément à la fin confirme l'imbécillité, la moralité laborieuse et la subversion en carton du programme : nous gardons au moins une forte suspicion que Crystal n'est pas la bonne personne [la bonne chassée]. Donc le problème n'est pas tant cette succession de meurtres à l'encontre d'électeurs populistes, droitistes, de complotistes ou de péquenauds ? C'est qu'on se soit trompé de cible ? Faut-il en conclure que The Hunt est un Ultime souper premier degré pour prétentieux jouasses se croyant plus valeureux que leurs camarades évolués ?


La représentation des 'liberal elites' semble mieux maîtrisée que celle (pourtant plus drôle, peut-être car ils sont inoffensifs) des vermisseaux réactionnaires. Dans le premier cas, la satire est claire, dans le second, elle est molle et désuète au mieux ; dans les deux le point de vue est à hauteur d'un grand enfant ou petit adolescent rageant sur Twitter, étalant avec insouciance sa satisfaction d'avoir tout compris. Forcément ces tueurs vertueux sont humanitaristes, chassent les généralisations et les appropriations culturelles ; autant de marqueurs gauchistes davantage que des codes d'une véritable élite. Mais ce film ne met pas son curseur au-delà des clivages reconnus par les crétins des réseaux sociaux de masse, donc pas au-delà de la théorie du fer à cheval ou d'autres représentations simplistes et souvent, même quand elles s'en défendent, à une dimension. Bien sûr il y a toujours la troisième voie, celle des malins, des 'au-dessus-de-tout-ça' et des centristes bigarrés ; les concepteurs de The Hunt sans doute estiment que leur public le plus attentif est dans cet état d'esprit, ou espèrent qu'il y viendra faute de meilleure position et comme les deux supposés 'camps' à l'écran se rejoignent dans l'irrationnel. Bien sûr le film se pose comme indépendant et souligne abondamment les contradictions du camp de la vertu ; mais ce qu'il fait de mieux à ce niveau, c'est plutôt montrer l'insignifiance de ces engagements et la persistance de la vulgarité. Dans le bunker, les hommes sont vantards, ricanent du titre Les larmes du soleil probablement trop précieux à leur goût ; voilà la petite bande de mâles imbéciles, médiocre d'esprit et satisfaite. On pourrait regretter que cette vulgarité persistante soit circonscrite aux hommes, mais ce serait rater la parfaite cohérence du film sur ce plan : les femmes, de tous côtés (sauf si ce sont des potiches 'yoga' et pas des femmes fortes), sont remarquables de lucidité et de self-control. Ce modèle taillé pour les dégénérés et les foules éméchées a au moins le mérite de tenir une logique.


Comme divertissement c'est potable, avec des turbulences fortes, un rythme général efficace et quelques tunnels d'ennui. On comprend à la deuxième mort qu'il s'agit d'une comédie ; on pressent en même temps que cette séance se voudra 'incorrecte'. En sacrifiant immédiatement les deux plus beaux membres du groupe (dont Emma Roberts), appelés à s'unir au fil de terribles épreuves, on nous arrache d'office à la blasitude, pour nous conduire vers une autre, plus contemporaine, plus spécifique (comme elle est fraîche, les auteurs et producteurs supposent, probablement à raison, que l'enthousiasme couvrira encore la frustration de se retrouver dans des schémas fermés et lourdement connotés). On va déjouer nos clichés à nous aussi, spectateurs engourdis par des divertissements polis – ou pire, spectateurs appréciant voire légitimant ces clichés qui sont autant de signatures d'esprits doucement retardés, sinon carrément bigots. En avant pour la destruction des canons et des illusions conservatrices ou patriarcales (celles du vieux Disney avec ses princesses ambassadrices de la féminisation éhontée des femmes, celle des films d'aventure où évidemment les explorateurs et autres mécanos itinérants sont des hommes) ! Venez admirez notre Jackie Chan féminine aux déductions brillantes et aux ressources insoupçonnées – vous avez marché, vous avez cru qu'elle était fragile et démunie lorsqu'elle est apparue ?! Dans la mesure où l'ensemble des hommes l'entourant sont des abrutis étroits, des rednecks ; dans la mesure où son adversaire féminine est aussi le cerveau de la tribu, associée à des gars lâches et impulsifs incapables de contrôler leurs réactions ; les retardataires et mal-comprenants auront l'occasion d'imprimer.


Le malheur pour ce film c'est que dix tonnes de suspension d'incrédulité, d'envie de se faire manipuler le temps d'une séance, ne suffiront pas à se faire sincèrement embarquer. Ce programme est moins déterminé qu'il veut s'en donner l'air, mais il a bien une certaine audace, de l'énergie ; par contre son originalité est entièrement factice. Même ses jeux distanciés sont du déjà-vu. Une seule chose justifie sa connerie narrative : les complices sont partout, les issues sont toujours prévisibles, mais cela permet de multiplier et diversifier les aventures. Effectivement on en voit de toutes les couleurs et c'est assez bien agencé – mais jamais pour assurer une crédibilité ; et c'est toujours trop planqué pour engendrer soit un aperçu pertinent (on l'approche ponctuellement, on voit cette Amérique de blancs complètement égarée et dans des modalités d'affirmation collective de soi absolument pétées) soit un cartoon réjouissant. La satire n'aura servi qu'à enrober une pantalonnade mouillée et tronquer sa banalité ; l'aspect ludique du duel final des deux femmes doit être évident pour qui se tripote trop longuement sur Kill Bill ; la discussion avec le méchant accompagnée d'un air classique est certainement un détournement très-z'averti des clichés du genre et pas sa reproduction lourdingue (façon Miss Météo de Canal+, mais en remplaçant l'ironie par un homme à la présentation).


Quelque soit le degré on retrouve ici tout le maniérisme récurrent dans les films d'horreurs ou les bisseries fougueuses, cette même sophistication criarde, ces laïus (mais en largement pire – pour ça et les combats, que la lecture accélérée soit béatifiée ! canonisée !), ces sarcasmes, ces racolages peinturlurés par des postures grandiloquentes ; mais on ne trouve pas de quoi aimer, respecter, ou s'amuser sans ce côté pince-sans-rire de crétin hautain, comme nous le permettent des show tout aussi épais tel Wedding Nightmare, Crawl, ou n'importe quel survival, satirique ou non, acceptant son job sans chercher à nous faire valider sa prétendue neutralité. D'ailleurs si vous doutez de ce film, réveillez-vous, ne tombez pas du côté des ignorants ; on y cite quand même Orwell selon toute une gamme allant du nominal au subliminal ; même l'impitoyable Athena ne manque pas d'être étonnée qu'une de ces péquenaudes soit cultivée ! Ne restez pas sur le bas-côté à bouder les marques d'intelligence ; elles font le travail pour vous, travaillez un peu pour elles ! Ou peut-être ignorez-vous l'art post-moderne de la subtilité, peut-être n'avez-vous pas passé l'âge de la post-vérité pour atteindre celui de l'indifférence stationnaire hautement assimilée ?


https://zogarok.wordpress.com/2020/09/01/the-hunt/

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le 1 sept. 2020

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