The Killer
7.6
The Killer

Film de John Woo (1989)

Empreint d’une atmosphère pessimiste qui se cristallise aussi bien par son iconographie baroque que par sa facilité d’exécution dans ses scènes d’actions, The Killer accentue les dichotomies de son récit pour en faire un polar souvent étincelant. Polar qui est un film sur des personnages tragiques qui vivent et meurent, en espérant et en luttant pour des idéaux très simples. The Killer met en scène un tueur à gages énigmatique habillé comme les mafieux des années 30 dont le comportement suit le cheminement d’un code d’honneur bien précis : seulement tuer les mauvaises personnes et ne jamais nuire à la bonne. Il veut décrocher, mais sa ligne de conduite patriarcale est mise en danger après qu’il ait accidentellement blessé une chanteuse innocente lors de l’un de ses derniers contrats. Dévasté et épris d’amour pour elle, il décide de réparer son erreur en finalisant d’autres contrats pour payer l’opération chirurgicale qui permettrait à cette femme à ne pas devenir aveugle pendant qu’il aura un flic à ses trousses.


Cette chanteuse deviendra alors le reflet de son salut : sa vie pour la sienne. Un face à face va alors s’intensifier, s’accorder entre fraternité et loyauté et donner, au gré d’une réalisation ébouriffante, naissance à des gunfights mémorables. L’histoire en elle-même est rudimentaire mais terriblement efficace et John Woo laisse beaucoup de mystères sur ses personnages et leurs motivations passées ou présentes, privilégiant de ce fait la symbolique de la situation plutôt que la dramaturgie du dialogue. Dans un monde en perdition, le flic et le tueur à gages vont se retrouver nez à nez face aux mêmes questionnements : la moralité de la justice dans un environnement qui est de plus en plus immoral.


Et pour alimenter cette différenciation entre le bien et le mal, John Woo va instaurer de nombreuses références : notamment religieuses avec l’église catholique comme cadre, point de rencontre qui sert à recevoir les ordres et qui sera le théâtre de combats héroïques. Car dans son histoire, John Woo ne cesse d’iconiser ses personnages, de poétiser ses dialogues, d’en faire des fantasmes de perfection, non pas par la finalité de leurs actes, mais par leur courage, leur abandon de soi pour l’honneur d’une cause qui les dépasse ou dans la volonté de rédemption. Comme s’ils étaient deux anges venus purifier l’enfer d’un monde souterrain qui dérape. John Woo ne prend pas de gant quand il faut mettre le bleu de chauffe et construire ses destins tragiques.


Il immortalise un cinéma total, presque abstrait, qui ne se prive pas de tous les excès, et débouche sur une frontière étroite entre moment extrêmement mielleux façon soap opera et violence à la brutalité qui tombe dans le bain de sang. Le spectacle est grandiloquent, opère sa science par son imagerie féconde dont les ressorts stylistiques outranciers ne font qu’un avec la foi silencieuse des protagonistes. Le réalisateur crie alors tout son amour pour le cinéma et sa vocation purement graphique comme par le biais de nombreux ralentis pendant certaines scènes pour mettre en évidence l'extrémité émotionnelle. D’ailleurs, The Killer n’est pas sans rappeler Le Samouraï de Jean Pierre Melville, non pas dans le style qui s’avère beaucoup plus épuré et mutique chez le français, mais par l’interstice de ce duo vouer à l’échec entre une musicienne et un tueur à gages.


Aussi, The Killer prend les traits de certaines thématiques « Scorsesienne » et sa culpabilité catholique dans un monde d’hommes. Mais derrière ces influences, les balles fusent, le sang gicle, les cadavres se multiplient. John Woo instrumentalise The Killer pour esthétiser au maximum ses obsessions, créer alors l’art de chorégraphier la violence, non pas pour s’en amuser et lui enlever sa force évocatrice, mais pour lui rendre grâce, accorder tout le lyrisme à un acte irrévocable. Par l’élégance de son cadre, la fluidité de son montage, la luminosité, l’urbanisation de son contexte, The Killer en devient un pur régal visuel, un plaisir jouissif mais jamais régressif.

Velvetman
8
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le 28 mai 2016

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