Ce documentaire , qui nous expose le parcours du champion des jeux d'arcade du XXe siècle, puis sa "confrontation" à une nouvelle garde ni jeune ni fringante, confirme l'adage selon lequel, en matière de récit, en se concentrant sur le particulier on touche à l'universel. Bon, c'est un peu aussi le présupposé des sciences dites dures.
Le mec Bill Mitchell a donc tenu la première place au Donkey Kong pendant plusieurs décennies, ce qui est attesté par une sorte d'association de bénévoles dévoués à l'établissement des records de jeux video, des mecs qui visionnent des heures de cassettes video reçues du monde entier, de parties enregistrées à la maison par d'autres mecs qui revendiquent le titre sur tel ou tel jeu.
On découvre notre héros Bill sur une photo de groupe prise dans les années 60 lors de la première réunion « officielle » des pointures du domaine. On apprend qu'il a publiquement écrabouillé un petit malin qui prétendait égaler ses scores, et auquel il a accordé le pardon, pour en faire son séide. Son larbin en somme. Un adepte. Enfin bon c'est une grande âme magnanime.
Sur la photo d'époque, pas essentiellement constituée de prime prom material, le plus white trash du lot, cheveux long, moustache juvénile jamais rasée et regard éteint, c'est lui Billy le boss.
Et puis on fait la connaissance d'un mec de Seattle, un peu autiste sur les bords, un des pionniers de la scène grunge qui n'a jamais percé, un gars qui a enchaîné les passions mais n'a jamais réussi à briller dans aucun domaine. Mais comme il nous le démontre sur la batterie de son fiston, un gars avec une sacrée coordination. Pas comme moi avec ce clavier.
Donc il envoie une cassette sur laquelle on le voit cramer le champion en titre, avec en fond sonore son gosse qui lui demande de venir le torcher parce qu'il a fini sa crotte, mais notre challenger ne se laisse pas démonter et il éclate le score.
Et là, le drame se noue.
La bande de joyeux bénévoles qui sanctifie les records émet des doutes sur la probité de notre nouveau champion Steve Wiebe, le modeste père de famille de Seattle qui rame pour trouver un boulot stable, qui ne se compare pas au baron rouge, et qui n'est pas devenu un « magnat » de la sauce en bouteille (un peu comme Paul Newman, sauf que Newman c'était des petits flacons bio de 25 cl, alors que Billy Mitchell lui il vend sa sauce en pots de 5 L).
Ils débarquent chez le postulant au titre et examinent la machine sur laquelle il a établi son score, étant donné que la moindre manipulation sur les circuits imprimés a pu altérer le fonctionnement de l'engin, et que justement la machine ayant cramé une fois, il a été fait appel à la générosité d'un type que Billy Mitchell considère comme sa Némésis, pour acheter un nouveau hardware. Enfin bon s'il y avait eu trucage, la cassette video leur permettait déjà de voir si un truc clochait dans le comportement du jeu. Sinon autant dire clairement que les seuls scores validés sont tous obtenus sur la même machine. Bon, s'il doit en être ainsi, notre gars de Seattle se dévoue pour traverser les USA en voiture et venir jouer dans la salle d'arcade du club.
Et là, sous le regard des incrédules, il réitère l'exploit. Comme ça, mine de rien, sans se laisser démonter par les petits malins qui veulent le déconcentrer. Il a pire à la maison.
Et il va faire le voyage plusieurs fois, dans le but de voir celui qui refuse de lâcher le titre de champion, et qui fait partie désormais du comité central de l'association qui attribue les titres – Billy Mitchell, juge et partie ! - mais ce dernier, qui habite à 15 km de la salle d'arcade, l'évite soigneusement. Sa femme, une petite latina à gros seins, déclare lors d'un entretien qu'en 25 ans de vie commune, elle ne l'a jamais vu jouer en public. Tout juste le voit-on passer une fois furtivement dans le dos de Steve , qui lui dit salut, sans qu'il lui réponde....


En gros, le mec est passé à autre chose, tant mieux pour lui mais qu'il cesse de s'accrocher à un titre qu'il a gagné, voilà, super, au suivant. Et là on découvre ses petites magouilles foireuses. Au lieu de venir jouer en public, il fait transmettre une video (par le biais de sa grand-mère dirait-on, en lui disant que la cassette a plus de valeur que sa vie – à la grand-mère) dans laquelle il exploserait apparemment tous les scores. L'image déconne un peu par moments mais on va pas mettre sa parole en doute, on le connaît, c'est un bon gars réglo, malgré son regard de pithécanthrope et ses méthodes sournoises.
Le gorille va pas se laisser voler la vedette par un petit plombier sorti d'un trou humide. C'est lui le roi de la jungle.
Et là on voit que sous le costard du chef d'entreprise, on a toujours le petit nerd boutonneux avec sa moustache de puceau, pas sûr de lui, et qui a trouvé comme seule revanche sur la vie que la société lui inflige, ses prouesses au joystick. Et on voit les mêmes luttes de pouvoir où n'importe quel chef, à n'importe quel niveau de l' « échelle sociale », fait tout pour écrabouiller l'individu dont la brillance pourrait lui faire de l'ombre (?) ; dans l'usine, au bureau, dans le parti, dans la famille, etc.
Nonobstant le choix du réalisateur de nous faire prendre parti pour le challenger, décision essentielle à la dramatisation de son film, on peut tirer ses propres conclusions. Pour ma part, même si j'accorde ma préférence au mec choisi pour moi, en généralisant un peu j'y vois un constat consternant sur l'humanité. La même mesquinerie au service de la même quête de gloire futile. La même violence, de la cour de récré au champ de bataille. Les mêmes concours de bite. Je dis ça mais je veux pas que les femmes se sentent exclues. Il paraît qu'elles se sont mises aux jeux video d'ailleurs. Moi j'y connais rien. C'est trop cher ces merdes.


Nota bene : après avoir lu des critiques sur le film, j'apprends que la dramatisation et les partis pris ont fait mettre en doute la probité du réalisateur. C'est oublier que TOUS les docus sont mis en scène, montés, avec de la musique, etc. Ici au moins il est clair qu'on a le point de vue du réalisateur. Mais en même temps, on ne peut s'empêcher d'inférer sur les personnages réels.
Je me permets de supposer que le sujet de ce documentaire a été choisi justement parce qu'il se prédisposait à la forme narrative qui paraît artificielle à certains. La vie est pleine de conflits, qui font le sel de la fiction - laquelle ne dépasse jamais la réalité sous l'angle de l'imagination.
Frederic Wiseman a déclaré qu'aucun de ses documentaires n'avait reçu de financement français, car ceux-ci étaient obtenus sur la base d'un scénario, ce qui était en contradiction avec sa démarche. On peut arguer qu'un projet doit être précédé d'un travail de recherche et de pistes d'investigation supplémentaire. On peut aussi voir un documentaire filmé comme la simple illustrations de thèses - ça donne de très bons travaux didactiques. Mais sa démarche consiste à se rendre dans un cadre en général circonscrit, et à filmer pendant une période (assez courte à mon goût) tout ce qui tombera sous l'objectif de sa caméra et lui semblera pertinent, pour ensuite donner une trame, un déroulement linéaire à la masse de rushes, au montage. Un peu comme un journaliste, un correspondant à l'étranger par exemple, ne part pas avec une histoire préécrite pour laquelle il se contentera de récolter les images les plus illustratives.
Pourtant, dans tous les cas, le "réel" grapillé par la caméra sera reconstruit a posteriori.
Et encore, on ne parle pas de cette fiente qu'est le "docu-fiction". Qui a le mérite de comporter le terme "fiction" dans sa dénomination, au contraire des exposés magistraux qui nous assènent les conclusions de chercheurs qui ont tranché diverses questions litigieuses sans nous en informer. Et là, c'est notre rapport global à la culture qui est mis en cause , de l'enseignement scolaire au diktat des spécialistes.
Tout est politique.


Dans notre prochain épisode, nous parlerons du storytelling en politique...

ChatonMarmot
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le 22 janv. 2017

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ChatonMarmot

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