À la fin des années 20, la carrière d'Erich Von Stroheim aux Etats-Unis décline brusquement suite aux défections des producteurs qui ne veulent désormais plus l'engager en tant que metteur en scène. Les raisons ? Les frasques financières de ses projets délirants, englouties dans des reconstitutions de décors pharaoniques aux coûts faramineux, ont le don d'énerver les pontes des grands studios américains. Et puis ses films avaient, dans leur conception originelle, une longueur pour le moins stupéfiante et monstrueuse, difficilement conciliable avec les contraintes commerciales. Jugez plutôt : 34 bobines, soit environ sept heures et demi de projection, pour Foolish Wives .... !! Le producteur Irving Thalberg pouvait s'arracher les cheveux devant un tel ovni cinématographique...


Suite aux exigences passionnées et irrationnelles toujours plus criantes du cinéaste autrichien, les conflits s'enchaînèrent, et finalement, Irving Thalberg et Louis B. Mayer le mirent définitivement sur la touche. Banni, il prend alors la décision de s'exiler, et part, en 1936 pour la France. Bien lui en a pris, car Jean Renoir l'engage, en tant qu'acteur, dans La Grande Illusion, et c'est le succès immédiat ! Un succès foudroyant qui lui assure une seconde jeunesse. Sa popularité est telle, qu' il devient en France une véritable vedette ! On le verra par la suite en tant qu'acteur dans près de 17 films français, c'est dire... Mais la guerre éclate en 1939 et l'oblige, à nouveau, à partir vers....l'Amérique !


En 1944 il va être amené à jouer pour la très modeste Republic Pictures, ( société de production américaine spécialisée dans les films à petits budgets) dans The Lady and the Monster. Le réalisateur George Sherman s'est en grande partie inspiré du roman de Curt Siodmak, Donovan’s Brain, pour réaliser cette attachante et virevoltante série B, conduite sans temps mort.


Curt Siodmack avait vendu les droits de son roman pour la somme dérisoire de 1900 dollars. Et Herbert J. Yates, patron de la RP s'est alors empressé d'en changer le titre, au grand dam de l'auteur. Mais il est bien connu qu'une fois leurs oeuvres vendues, les écrivains n'ont plus qu'un seul droit, celui de fermer leur gueule...(enfin, pas toujours, fort heureusement...!)
Ainsi, le titre du roman se transforme t-il en The Lady and the Monster, pour la simple et bonne raison que le producteur Herbert Yates, insista lourdement pour faire jouer dans le film, une lady, en l'occurrence, sa petite amie, Vera Ralston, une ancienne patineuse tchèque dont les talents d'actrice sont loin d'être évidents...


D'emblée, le film dépeint une ambiance gothique particulièrement prenante : un vieux château, une mystérieuse et sombre gouvernante (on songe à Mrs. Danvers de Rebecca d'Hitchcock), et un inquiétant et claudiquant professeur infirme, (?) s'adonnant fiévreusement à toutes sortes d'expériences, composent un étrange tableau. Voilà pour le décor.


Erich Von Stroheim incarne avec passion ce savant fou qui a pour unique obsession de vouloir extraire le cerveau des animaux morts, pour les maintenir en vie dans un bocal. Une culture de la cervelle en somme. Jusqu'au jour où, tout naturellement, l'idée lui vient de tenter l'expérience sur un homme....
Bien sûr, la thématique du savant fou n'est pas nouvelle, mais au lieu de la ressasser, le film prend malicieusement la tangente et bifurque inopinément vers un genre qu'on ne lui soupçonnait pas : le thriller ! Du coup, le personnage d'assistant scientifique, interprété par un Richard Arlen en forme olympique, gagne de l'épaisseur au fil de l'intrigue, au point d' éclipser la prestation du professeur Stroheim !


Au final, George Sherman élabore un film réellement séduisant, sur un scénario original et une photographie superbe, nimbée de resplendissants jeux d'ombre et de lumière. Seul petit bémol, et on aura compris pourquoi : la prestation vraiment faiblarde de Vera Ralston...


Sorti chez Artus en DVD, le film ne bénéficie pas d'une copie des plus reluisantes, mais étant donné la rareté de la chose il faudra bien faire avec...

Qhermite
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le 26 juil. 2019

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