Avec The witch, en 2016, Robert Eggers marquait un premier coup d'éclat en s'imposant dans le courant moribond du cinéma d'épouvante. A côté des franchises de James Wan et d'un enième found footage, le retour aux fondements du genre semblait nécessaire et était rafraichissant face à une production morose. Attendu au tournant avec The lighthouse, projet très alléchant sur le papier, Eggers transforme l'essai et confirme son talent.


Fin du XIXè siècle, deux gardiens de phare débarquent sur un ilot isolé. L'apprenti taciturne fait face au vieux loup de mer sévère et taiseux. Les jours passant et l'alcool coulant quotidiennement, la tension monte jusqu'à la folie. Le premier plaisir de The lighthouse est ce cadre original. Loin sont les histoires de maison hantée ou de serial killer d'adolescent. A une époque ou le cinéma américain ne produit presque plus que suites et remakes (dernier en date dans le cinéma d'épouvante : Black christmas...), un projet aussi original est excitant. Eggers n'en oublie pas autant de rendre hommage à ceux qui l'inspirent (par ici le style de Caligari, par là la hache de Shining) tout en s'en affranchissant pour proposer quelque chose de nouveau.


La réussite de The lighthouse tient surtout à son atmosphère. Celle-ci est d'abord entretenue par l'aspect formel du film. Pour aborder la folie, Eggers resserre son cadre jusqu'à un format quasi carré qui insiste sur l'impression d'enfermement, à la fois physique et mental. Le filmage en pellicule et la prise de son donne un aspect râpeux à l'esthétique qui renforce les tensions scénaristiques. Le choix du format et du noir et blanc ramène au cinéma des années 20/30 et dans un mouvement commun, la performance d'acteur emprunte elle aussi à l'expressionnisme allemand, Dafoe et Pattinson exagérant leurs expressions faciales comme au temps du muet. Ce duel d'acteurs se déroule aussi dans les dialogues et, comme pour The witch, l'importance donnée à la langue parlée est édifiante. Le vieil anglais de marin mal embouché ainsi que les accents contribuent au décalage avec le réel qu'entretien la mise en scène.


Eggers sait aussi tirer parti de ses décors. Ayant construit un phare pour le tournage, le réalisateur agence sa topographie pour opposer mer, terre et ciel. Les gardiens s'accrochent à la terre alors que l'eau tente de s'infiltrer partout. Le film prend alors une tournure visqueuse. Le liquide est à la fois danger, mais aussi celui qui réchauffe (l'alcool consommé au repas chaque jour). Les éléments marins sont autant séduisants (porte de sortie vers la terre ferme) que repoussants (le poulpe) voire ambigus (la sirène entre séduction et danger). Les deux marins semblent pouvoir trouver leur salvation vers la lumière du phare qui brille dans le ciel. Sujet d'adoration pour l'ancien, interdit pour le nouveau, cette lampe concentre les désirs et les péchés humains. Aussi inaccessible aux mortels que le soleil, l'atteindre est-il vital, au risque de s'y bruler les ailes ?

yhi
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le 22 déc. 2019

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