The Neon Demon : ériger un temple à la beauté

The Neon Demon a tout d’un rêve. Le rêve esthétique de Nicolas Winding Refn, qui présente dans son œuvre un ballet éphémère de poupées de cire interchangeables. Celles-ci se confondent dans un montage, parfois épileptique, de formes géométriques et de néons criards. Jesse, incarnée par la douceur juvénile d’Elle Fanning, désire vivre de sa beauté et sera progressivement entraînée dans l'univers du mannequinat, aussi beau que violent, par la mystique Ruby (Jena Malone).


Dans ce rêve, il est question d’ériger un temple à la beauté. Celle-ci est partout, religieusement glorifiée : les images et la matière du film dégoulinent d’un filtre magnifiant les visages. Les trois amies, Ruby, Gigi (Bella Heathcote) et Sarah (Abbey Lee) jalousent la beauté de Jesse, réincarnation de Vénus parmi les mortels. Elle-même ne peut s’empêcher de se perdre dans son propre reflet, saisie d'une pulsion scopique, comme d'une jubilation narcissique.


Les miroirs sont par ailleurs des motifs omniprésents dans chaque scène : ils enferment les personnages dans la contemplation de leur apparat, et annihilent leur substrat. Dès la rencontre de Jesse et Ruby, celles-ci parlent par miroirs interposés dans un montage alterné : le reflet de soi passe avant la rencontre avec l’autre. Les nombreux surcadrages viennent enfermer spatialement les personnages dans le règne des apparences. Prisonnières de la caverne de Platon, elles ne peuvent se détacher de leurs ombres et ignorent la vérité de leur être.


La déchéance de l’âme


Dans cet univers clinique, les mannequins paraissent dénuées de la moindre émotion. Dans une scène picturale, elles patientent sur des chaises, telles des statues de verres figées. Elles ne prennent vie que pour défiler, dans une démarche mécanique qui nie toute individualité. Chaque séance photo implique de s’oublier en tant que personne et demande de se penser en tant que corps malléable.


La quête de la beauté absolue semble ainsi être synonyme de la déchéance de l’âme. Dans une des scènes finales, Jesse tente de fuir ses trois rivales venues la tuer. Les néons rouges clignotent et accentuent l’atmosphère infernale de la course-poursuite. Finalement poussée du haut d’une piscine vide par ses ennemies, chute aux enfers métaphorique, sa fin symbolise leur renaissance. De son sang et de sa chair, une nouvelle jeunesse s'installe en elles.


Vers l’idéal d’un corps recomposé


Derrière cette quête cannibale de la beauté, il est également question de transhumanisme. Gigi, la « femme bionique », liste toutes les opérations réalisées pour obtenir le corps idéal. Cela n’est pas sans rappeler Le Manifeste du ciné-œil de Vertov, qui écrit : « et par le montage, je crée un homme nouveau, un homme parfait ». Le corps au cinéma est en effet un corps mutant, semblable à Frankenstein. Au même titre, les mannequins ne sont plus que des corps recomposés, des robots perfectionnés, au prix de leur humanité.


En un sens, le réalisateur dénonce le culte voué aux corps, en le reproduisant à l’extrême, jusqu’à la nausée. Contrairement au cinéma Hollywoodien qui nie que le corps est voué à la destruction, il filme des êtres à l'apparence plastique parfaite et manifeste ensuite l'impossibilité de leur éternité. Jesse passe d’un corps sublimé à un corps grotesque. Charogne sur le bas côté, ramenée à sa mortalité. Dans une contre-plongée saisissante, de nouvelles déesses prennent sa place, jusqu'à ce qu'elles soient à leur tour, des beautés périmées. La chair fraîche remplacera toujours le lait caillé.


Lucile Castanier

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le 21 août 2020

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