Deux ans après le très émouvant Blue Valentine, Derek Cianfrance renouvelle l’expérience avec Ryan Gosling pour son nouveau film The Place Beyond the Pines. Exit le look de mari et de père de famille quelconque, calvitie et grosses lunettes à l’appui, et retour à un rôle auquel l’acteur semble cantonné : le bad boy sans peur, peu bavard et solitaire, roulant sa bosse de ville en ville. Ça vous rappelle quelque chose? Luke Glanton, son personnage, n’est en effet, ni plus ni moins qu’une version deux roues du héros de Drive. Alors que le driver restait seul, servant quelques fois de père de substitution pour l’enfant d’Irene, Luke, lui, a un petit garçon avec Romina ( Eva Mendes ), une femme avec qui il a eu une vague aventure. Cette filiation change tout pour cet homme qui fera tout pour son fils, y compris braquer des banques pour subvenir à ses besoins. Ça, c’était sans compter sur Avery Cross ( Bradley Cooper ), jeune recrue de la police, car qui dit voleur dit policier à ses trousses. La chute de l’un va donc entraîner la gloire de l’autre, père de famille lui aussi, servant de transition magnifiquement orchestrée, entre l’histoire de Luke et l’histoire d’Avery. La transition est d’autant plus réussie que l’on ne reconnaît pas tout de suite Bradley Cooper.

Le film propose trois chapitres liant les personnages les uns aux autres. A l’aide d’un plan séquence initial intéressant , le début se concentre sur un Luke aux cheveux blonds peroxydés, au regard ténébreux et aux tatouages aussi vrai qu’un tatouage Malabar. Un vrai cliché de bad boy toutefois crédible. Son histoire rend possible l’histoire d’Avery qui construira sa vie en fonction de leur rencontre décisive. Là, où la facilité voudrait un duel du bon contre le mauvais, le réalisateur choisit de montrer deux hommes ambigus. Le voyou se révèle être un homme qui prend ses responsabilités, même s’il ne fait pas toujours les bons choix et l’homme de justice ne se montre pas si honnête que l’on pourrait l’attendre. Ces deux hommes que les apparences seulement opposent se trouvent un point commun en leur qualité de père, chacun à sa façon. Dès lors la rencontre entre leur fils respectif, dans un chapitre final prend tout son sens. Il est toutefois à regretter qu’elle soit prévisible trop rapidement. C’est d’ailleurs le principal reproche que l’on pourrait faire au film, beaucoup d’actions sont prévisibles et rien n’est surprenant, si ce n’est cette structure en chapitres où les héros principaux ne se rencontrent finalement jamais.
The Place Beyond the Pines offre une réflexion intelligente, mais parfois clichée, sur la transmission ( comme c’est étonnant, le fils du policier est un voyou, le fils du voyou est un garçon sensible ) et une vision émouvante du père. Le réalisateur nous montre le rôle capital d’un père auprès de son enfant, son influence, son héritage. Luke n’a pas connu son père et veut donc être un père présent pour son fils, quitte à tout abandonner ; Avery, quant à lui, a un père omniprésent et finit par délaisser son propre fils au profit de sa carrière. Au final, les deux fils, AJ et Jason, auront des père absents, qu’ils ne connaissent pas vraiment et devront se construire en fonction de ça. Les mères sont relativement absentes des préoccupations des deux adolescents qui ne recherchent que le regard du père. Néanmoins, au milieu de toute ces mâles, se débattent la femme d’Avery, relativement transparente et plus que tout Romina. Il est agréable de voir qu’Eva Mendes ne joue pas de son physique dans ce film. Elle campe avec justesse une mère de famille qui essaye de joindre les deux bouts, sans maquillage ni grands effets. Elle est d’ailleurs la seule à être crédible lors de l’ellipse de 15 ans, face à des acteurs qui n’ont même pas l’air plus vieux qu’à la scène précédente. Deux modèles de famille, deux modèles de père, d’homme et deux modèles d’enfants s’opposent donc et se complètent à la fois. Aucun personnage n’est réellement heureux et tous cachent un passé douloureux.
Plus que l’héritage, le film montre comment se construire. Avery Cross se fait un nom dans la police, devient un héros sur un mensonge, dans un milieu où la police est bien moins fréquentable que les voyous qu’elle arrête ou abat. Il construit sa vie sur un mensonge et un sentiment de culpabilité. Les adolescents se construisent sur des bases peu solides et sans réel repère. Si ces sujets sont pertinents, ils ne sont toutefois pas poussés jusqu’au bout et versent vite dans le cliché. Une fois la découverte de qui était son père, Jason décide de partir sur les routes, on vous le donne en mille, en moto, bien sûr. Le film semble dire que nous sommes destinés à reproduire les actions de nos parents. Jason part, tel son vagabond de père, Avery devient une personnalité importante et influente comme son père. Ici, Bradley Cooper semble reprendre son rôle d’Eddie de Limitless se lançant dans la politique.

Ce que nous retiendront du film, outre ses thèmes bien traité sur la famille et l’héritage, ce sont les rôles déjà vu de Ryan Gosling et Bradley Cooper. Il est dommage de voir qu’ils sont cantonnés dans ce qu’ils ont déjà si bien fait. Alors que Blue Valentine offrait en partie un rôle à contre-emploi pour Ryan Gosling, nouveau beau gosse d’Hollywood, The Place Beyond the Pines ne lui permet qu’une redite de Drive dont le film pourrait tout aussi bien être une suite tant les similitudes sont nombreuses. Il semble n’en avoir malheureusement pas fini avec ce rôle qui lui colle à la peau, une suite de ce fameux Drive étant annoncée. Après la voiture et la moto, à quand le tandem ou le roller pour Ryan Gosling ?

Morgane Jeannesson
Morgane_Jeannes
5
Écrit par

Créée

le 6 avr. 2013

Critique lue 743 fois

Critique lue 743 fois

D'autres avis sur The Place Beyond the Pines

The Place Beyond the Pines
Gand-Alf
8

Au nom du père.

C'est con comme un mauvais résumé peut vous faire passer à côté d'un bon film. A sa sortie, les journaux avaient plus ou moins vendu le nouveau film de Derek Cianfrance comme un "Drive" à moto,...

le 12 sept. 2013

86 j'aime

2

The Place Beyond the Pines
cloneweb
4

Critique de The Place Beyond the Pines par cloneweb

Un an avant la sortie de Drive, le réalisateur et scénariste Derek Cianfrance faisant tourner Ryan Gosling face à Michelle Williams dans Blue Valentine, film que Jean-Victor décrivait à l'époque...

le 14 mars 2013

61 j'aime

6

The Place Beyond the Pines
SanFelice
7

Pères sévères

Je continue mon exploration du cinéma de 2013, en profitant pour combler mes lacunes du moment. Après des films plutôt décevants, me voici donc lancé à la conquête de The Place beyond the pines. Au...

le 21 nov. 2013

56 j'aime

1