The Social Network entreprend de dresser, sinon la biographie de Mark Zuckerberg, au moins le portrait du personnage qui se cache derrière la plus grande communauté internet, facebook.


Ce génie de Harvard devenu le plus jeune milliardaire de l'histoire grâce à la success story de son réseau social est depuis quelques années érigé en symbole de la réussite à l'américaine, raison suffisante pour lui consacrer un biopic riche de quelques particularités. Notons par exemple que, s'il y a bien un personnage principal, il apparaît ici comme un prétexte à établir le portrait robot d'une génération, et il ne faut pas espérer trouver dans ce film le récit des origines du personnage que nous connaissons aujourd'hui. Malgré le caractère épique - histoires d'amour (propre), d'amitié et trahisons formant un récit finalement assez classique - il faut remarquer que l'ensemble tient plutôt de la tranche de vie que du cheminement conventionnel de la couveuse au cercueil. The Social Network est en réalité très différent de L'étrange histoire de Benjamin Button, précédent film du réalisateur, car la fresque dessinée y est bien moins grande et qu'à l'image du succès du personnage, l'ensemble va à un rythme effréné.


Le point de départ du récit se situe quelques semaines à peine avant la création du fameux site internet et l'histoire s'interrompt tandis que facebook continue à s'étendre exponentiellement, ce qui pose une question légitime: est-ce vraiment la biographie de Zuckerberg ou bien n'est-il qu'un simple accessoire pour raconter l'histoire du site qu'il a créé? Les réponses à cette question sont multiples car en dépit de l'aspect classique de la narration, plusieurs lectures s'offrent à nous au travers de nombreux plans métaphoriques très réussis.

A peine sorti et déjà de nombreux critiques évoquent un "film générationnel", une sorte de synthèse de ce qu'est la jeunesse des années 2000, et il semble en effet que ce film puisse être vu de cette manière. A n'en pas douter, la très forte contemporanéité avec le sujet évoqué renvoie explicitement à ce qui est à l'œuvre sur facebook: la soif de l'immédiateté, ce besoin constant qu'ont la plupart de ses membres d'être les premiers à faire circuler une information ou à mettre en ligne les photos prises quelques heures auparavant. Fincher s'impose ici comme le plus rapide à s'emparer d'une chose qui n'a pas connu de déclin et dont il est difficile de dire à l'heure actuelle si elle en connaîtra un.

Il est impossible de ne pas voir le monde qui gravite autour de Zuckerberg comme une mise en image des relations que chaque membre entretient avec lui-même et les autres sur facebook, une sorte d'internet IRL (In Real Life). On voit ainsi les procédés par lesquels des comportements et des intérêts réels se retrouvent en tant qu'éléments constitutifs du site, mais aussi comment la construction virtuelle d'une identité finit par avoir des influences sur les comportements et les intérêts dans la réalité.

L'exemple le plus probant réside sans doute dans l'ouverture du film elle-même, soit un dialogue somme toute plutôt commun mais dont on sent l'étrangeté puisqu'au lieu de se répondre mutuellement, les deux protagonistes soliloquent et passent continuellement d'un sujet à un autre. Toute allusion à quelque chose que vous connaissez est bien entendue volontaire car c'est finalement ainsi que le réalisateur résume tant l'espace de communication interpersonnel moderne que son modèle archétypal sur internet, un espace où chacun parle pour lui-même, où les gens font preuve d'une incapacité à se poser durablement sur une seule chose, une génération où tout doit aller vite car tout est éphémère.

La fin - qui ne fait nullement l'objet d'un suspense - est tout aussi emblématique et renvoie inexorablement à ce début en laissant quelques portes ouvertes puisque c'est un Zuckerberg absolument intact que nous retrouvons, un personnage habité par les mêmes motivations. Des motivations dont la nature échappe sans doute au principal protagoniste, tout autant qu'au réalisateur et à son public, car entre mesquinerie, complexe d'infériorité et regrets le génie finit seul face à son ordinateur, tentant d'actualiser sa vie en appuyant sur F5.

Le problème du film est peut-être finalement sa thématique dont on ignore encore si elle va savoir traverser les années ou si elle sera aussi éphémère et dérisoire que ne le sont les activités de monsieur tout le monde sur ce réseau social. C'est sur ce point qu'il faut émettre une réserve quant à l'appellation peut-être prématurée de "film générationnel" car seul le recul saura nous dire avec certitude s'il se pose effectivement comme la référence incontournable de la génération 2000 ou s'il ne laissera qu'une empreinte momentanée sur des esprits avides de nouveauté.


La fin du vingtième siècle au cinéma a été marquée par - entre autres - la sortie de Fight Club (de Fincher également), qui reflétait avec beaucoup de pertinence les angoisses et les questions existentielles du monde moderne. Or, bien que The Social Network s'inscrive d'une certaine manière dans cette continuité, il faut veiller à ne pas d'ores et déjà le ranger aux côtés du chef d'œuvre du réalisateur car son dernier né n'a sans doute pas la même verve, le même impact formel, la même puissance intellectuelle intrinsèque.

Kaman
8
Écrit par

Créée

le 5 nov. 2010

Critique lue 478 fois

5 j'aime

Kaman

Écrit par

Critique lue 478 fois

5

D'autres avis sur The Social Network

The Social Network
Sergent_Pepper
9

Around the crowd in a day.

Alors que Fincher optait dans Zodiac pour la distance et l’atonie comme remède à l’hystérie souhaitée par un psychopathe, le sujet qu’il aborde dans The Social Network va impliquer un changement de...

le 28 déc. 2014

114 j'aime

5

The Social Network
Torpenn
5

Fincher et les malheurs du trou du cul...

Le héros de ce film est un trou du cul, ce n'est pas moi qui le dit mais sa copine qui le largue au début du film dans une scène très pénible qui a pour seul intérêt la confirmation du postulat sus...

le 1 nov. 2010

100 j'aime

338

Du même critique

Last Days
Kaman
4

Critique de Last Days par Kaman

Errance et solitude pourraient résumer ce film au visuel lancinant et pénible. Ce n'est pas du bon Gus Van Sant. Entre redondance et autres moments tirés en longueur à des fins obscures, l'auteur...

le 11 nov. 2010

9 j'aime

1

The Social Network
Kaman
8

Réalité virtuelle et vice versa

The Social Network entreprend de dresser, sinon la biographie de Mark Zuckerberg, au moins le portrait du personnage qui se cache derrière la plus grande communauté internet, facebook. Ce génie...

le 5 nov. 2010

5 j'aime

Le Prestige
Kaman
8

Un véritable tour de magie

Le trio gagnant de Batman Begins est de retour: Christopher Nolan, Christian Bale et Bob Kane nous subjuguent par une magie savamment dosée, la recette prend une fois de plus mais dans un univers...

le 11 nov. 2010

3 j'aime