Un magicien arrive sur scène. Il retire son chapeau et le présente au public sous toutes ses coutures : il est vide. Alors, après une incantation dont il a le secret, il plonge sa main dans le galurin et en ressort... absolument rien.
" Voici le Lapin Invisible ! " annonce-t'il.
" Oooh ! " Applaudit le public.
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Quand on m'a annoncé la mise-en-chantier d'un film qui parle de la création de FaceBook par David Fincher, j'ai immédiatement dit : " Qu'est-ce qu'on en a à foutre ?? ".
Les mois ont passé et j'ai rangé mon objection première au fond d'un tiroir : des sujets modernes sur cette anecdote, on peut en trouver. Comment protéger une idée ? Qu'est-ce que la propriété intellectuelle dans un monde où internet rend la diffusion de l'information si rapide ? Ou s'en va la notion de vie privée quand, n'ayant plus peur de Big Brother, les jeunes d'aujourd'hui mettent eux même leurs vies sur la toile dans les moindre détails ?
Le film ne fait rien de tel.
Ses thèmes mis en avant ( je ne peux même pas utiliser le verbe "développer" ) sont complètement bidons : " L'argent corrompt ! " ; " L'amitié c'est sacré... un peu. " Du pur Franklin La Tortue.
Maintenant, le magicien est quand même au rendez-vous. Fincher tient les deux heures de vide intergalactique que constitue le film comme un show-man émérite, maniant les outils technologiques les plus récents pour fabriquer son délire visuel du 21e siècle. Tournage en RED ONE en lumière naturelle, ajouts de la tête d'Armie Hammer sur un autre corps pour jouer les deux jumeaux, tout concourt à faire du film le défi technique à la hauteur de la réputation de son maître d'œuvre. Ajoutez à ça une direction d'acteurs au rasoir et l'illusion fonctionne : les gens sont convaincus qu'un lapin invisible se trouve devant eux... Le talent de David Fincher est intact : il faut bien un génie pour convaincre le monde entier qu'un projet complètement insipide et vide de tout discours est un film intelligent...
Parce qu'en plus de s'embarrasser d'un contenu idéologique digne de Franklin la Tortue, le film finit par ne proposer aucun axe de lecture qu'on ne doive aller pécher au filet. Exemple flagrant livré par un ami : une analogie avec Richard III. Qu'est-ce à dire ? Que le film n'arrive pas par ses propres moyens à parler ? Qu'il lui faut un spectateur muni de notes pour remplir les blancs ? A ce compte là on peut y insuffler tout ce qu'on veut. Richard III, oui. Macbeth aussi ( avec Justin Timberlake dans le rôle de Lady. ) Pourquoi pas Jaws ? ( L'histoire de trois mecs qui partent dans une quête chimérique hautement symbolique, dont seul le plus apte se fait tuer, laissant les deux gars-de-la-ville pédaler jusqu'à la maison ! ) Ou une sitcom... Ou un biathlon...
Il ne faut pas confondre sujet, enjeu, et propos.
Les sujets abordés et les enjeux définis de The Social Network sont plus qu'évident, bien exposés et ne souffrent aucune attaque. Fincher est malgré tout un type assez clair, trop parfois ( The Game et Fight Club... ) mais il sait placer ces artifices de conteur avec aisance.
Et c'est là que le bât blesse. J'en suis très vite revenu à ma première interrogation : " Qu'est-ce qu'on en a à foutre ? ". Le film suit sans broncher les atermoiements d'une horde de geeks chiants qui s'écharpent copieusement autour de la paternité de leur concept... De quoi alimenter 5 minutes de métrage, pas plus, non ?
Un scénario n'est pas qu'une succession de dialogues, fussent-ils brillants. Là j'ai vraiment eu la sensation d'être tenu d'admirer un œuf Fabergé pendant deux heures, alors que j'ai toujours Kinder-Chocolat à la maison !
Ce n'est pas tant que j'aurais voulu que le film parle d'autre chose, on peut tout a fait raconter mille fois la même histoire ( D'autant qu'avec Benjamin Button, Fincher avait déjà réussi à livrer un remake de Forrest Gump en y ajoutant un point de vue. ) mais ce dont il parle est trop faible et prémâché pour me faire penser quoi que ce soit d'autre.
Fans du film, admettez ceci : The Social Network est la plus somptueuse des coquilles vides jamais filmée !
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Je pense que notre magicien ne savait pas que rien ne sortirait du chapeau, et il a inventé cette histoire de lapin invisible pour se donner une contenance.