Plus clivant que Terrence Malick, tu meurs. On le porte aux nues ou on le vomit. On loue (ou pas) sa puissance esthétique, on déplore (ou pas) les propos sentencieux balancés par une voix off inspirée. Il faut d’abord reconnaître à Malick une constance : il persiste et signe et, comme il fait peu de films, il parvient à imposer un véritable style. Voilà qui, déjà, est estimable. J’apprécie aussi que le bonhomme reste secret, tant je pense, avec Kundera, que l’artiste dit tout avec son œuvre, et que les commentaires qu’il pourra ajouter seront toujours en deçà de ce que dit l’œuvre. Je ne suis pas non plus rétif au panthéisme de Malick, contrairement à beaucoup de spectateurs : affirmer sa foi, je trouve même ça plutôt courageux, en ces temps où le sujet ne suscite que railleries.


The Tree of Life n’est donc qu’un chapitre d’une œuvre dont la cohérence s’impose avec force. Que vaut ce chapitre-là ?


Si je peux aimer qu’on parle de Dieu, je n’aime pas qu’on le fasse avec emphase. Et c’est là que le bât blesse. The Tree of Life est particulièrement emphatique puisque Malick a voulu rien moins que s’attaquer au sens de la vie, au big bang, à l’infiniment grand relié à l’infiniment petit, bref, aux grandes questions existentielles. Les images du cosmos, de chutes d’eau, de volcans en éruption, d'essaims de méduses, de champs de tournesols, de rivières qui s’écoulent, j’ai aimé : je ne fais pas la fine bouche, c’est beau à tomber par terre donc pourquoi bouder son plaisir ? Malick prend son temps pour nous faire vivre ce moment, un parti pris que j’apprécie toujours.


Ces images, Malick les relie à la vie d’une famille américaine des années 50. A sa façon : avec cette caméra qui bouge avec grâce, ces images le plus souvent sur de la musique, chose qui d’habitude m’insupporte (ce que j’appelle « le côté clip » au cinéma) mais qui ici acquiert une force singulière. Oui, le cinéma de Malick a un charme certain : les jeux des enfants, leur ombre sur un trottoir, leur disparition dans la fumée d’un camion qui pulvérise un insecticide, et puis des thèmes récurrents chez Malick tels que ces intérieurs aux fenêtres ouvertes, le vent faisant onduler un rideau… Le charme opère.


Ce charme entre hélas en conflit avec un certain agacement. Le soleil de face c’est beau (surtout filtré par les feuillages) et ça fait partie aussi de sa griffe, mais là ça finit par virer au tic assez toc. Les gros plans sur des visages, Malick en abuse aussi, et ce n’est pas toujours beau (Sean Penn de très près en contreplongée façon selfie… beurk). Quant à la scène des dinosaures, elle est assez ridicule, non ? Le truc fait très fabriqué, à mille lieux pour le coup de l’esthétique Malick. Une vraie faute de goût.


Alors voilà : Malick a du talent, il le sait trop. Il pense avoir un message à délivrer au monde, c’est dommage car ça le pousse à la grandiloquence. Regardons tout de même ce qu’il en est.


La nature s’oppose à la grâce car elle cherche toujours à "tirer profit" alors que la grâce est désintéressée ? Une thèse intéressante, quoique contestable – l’entraide existe aussi dans la nature. Le père, ici, incarne la vision de la nature : il faut s’armer pour gagner un combat, c'est struggle for life. La nature est violence, comme le père qui ne sait exprimer son amour pour ses fils que sur ce mode-là. Jack s’identifie à lui, il le dit à son père, et il lance des pierres sur des vitres, blesse son frère avec un fusil... La mère, au contraire, est pleine de grâce, une incarnation de l’amour désintéressé. Tout ce beau monde se retrouvera sur une plage, image de l’au-delà assez belle esthétiquement, assez mièvre dans cette idée que toute la famille se prend dans les bras. Jack âgé, on l’aura soit au milieu des buildings et leurs lignes verticales, soit errant dans le désert. Message, là encore...


Bon, un peu facile d’ironiser : il a beau se gonfler de son importance, The Tree of Life n’est pas si creux.


Alors ? Long poème mystique et lyrique ou kaléidoscope vain et boursouflé ? Quelle impression domine au sortir du visionnage ? Toujours difficile de résumer en une note un film de Malick. Comme souvent pour moi, la balance penche quand même du mauvais côté.


6,5

Jduvi
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le 17 sept. 2021

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