Attention : ce double-article, composé d'une critique particulièrement négative puis d'un texte beaucoup plus élogieux montre que l'avis que l'on tente de construire au sujet d'un film peut - heureusement - évoluer voire changer radicalement au gré des années et de l'approche accordée à ce dernier. Quatre ans séparent le premier du second, il me semblait intéressant de garder mon ressenti initial sans pour autant omettre d'ajouter un nouvel avis, ne serait-ce que par simple légitimité à l'égard de la Palme d'Or de Terrence Malick. Bonne lecture !


Texte écrit en mars 2013 :


Tout le monde sera d'accord sur un point, et moi le premier : The Tree of Life est un film Beau. Un film du Beau, sur le Beau et pour le Beau. Ce qui lui confère instantanément une essence purement cinématographique ou du moins artistique, esthétique et, dans une certaine mesure, poétique.


Or si l'ambition de Malick eût été simplement ( ou uniquement, exclusivement, débarrassé de toute contrainte fondamentale ) celle de nous offrir une fresque somptueuse sur l'essence de la vie son Tree of Life aurait sûrement trouvé grâce à mes yeux, à mes oreilles et à mon âme. Mais non. Sous ses dehors formalistes, visionnaires et visionnés le cinquième film de Terrence Malick couve une inquiétante part de sectarisme religieux, s'affichant comme un redoutable film de propagande contemporain.


Après une première demi-heure effectivement ravissante ( mais qui a posteriori fleure bon la poudre aux yeux d'un marchand de vent préméditant quelque coup de bigot...) le cinéaste nous entraîne pendant près de deux heures dans le quotidien d'une famille texane de l'après-guerre, moment de cinéma à travers lequel tout semble fondé sur la notion de modèle. Modèle moral, modèle social et surtout modèle familial : les éléments, les codes et les personnages de The Tree of Life sont en permanence glorifiés, sublimés, sur-filmés par Malick. La mise en scène, entre fièvre et pompiérisme garde la superbe des 30 premières minutes mais s'avère tout à trac affreusement orientée, intentionnelle et dogmatique. Pour l'exemple : le réalisateur ne manque jamais une occasion de sacraliser le mariage ( alliances moins visibles que véritablement exhibées au centre du cadre, motif du voile immaculé omniprésent dans les images ), la carrière ( le personnage joué par Brad Pitt, étrange combinaison de Ned Flanders et de l'inspecteur Harry est un paradigme de l'entrepreneuriat, jamais dévalué par la forme malickienne ) et la présence indubitable de Dieu ( d'ores et déjà mis en exergue en amont du récit au gré d'une citation du livre de Job ). Ainsi la beauté formelle de The Tree of Life rend compte d'un véritable travail de lavement cérébral, pas tellement différent dans le fond d'un film de propagande politique et / ou religieux ( la Palme d'Or 2011 serait-elle l'équivalent flamboyant du pathétique The Saber, non-film honteusement disponible sur le Tout-Internet ?...)


La discontinuité de la narration, le paroxysme permanent des images, des couleurs, des sons, des textures et des espaces témoignent d'une radicalité de Cinéma qui n'est a priori pas pour me déplaire. The Tree of Life a pour lui cette qualité, cette identité, cette "vérité". Hélas la présence des valeurs puritaines et la manière avec laquelle Malick insiste sur certains éléments symboliques ( éléments difficilement extirpables de leur contexte, tant le cinéaste les place au coeur de sa mise en scène, de son histoire et de ses convictions religieuses ) transforment cette splendeur filmique en prétexte de séduction idéologique. The Tree of Life ne fait rien de moins qu'imposer sa vérité, avec tant de lourdeur biaisée que la supercherie va bien au-delà du bel objet simplement creux. Un film véritablement manipulateur duquel je sauverais à la rigueur la première partie, rinçage visuel et sonore amorçant l'endoctrinement. J'ai détesté.


Texte écrit en juillet 2017 :


2011 fut l’année de The Tree of Life, l’odyssée malickienne nous entraînant durant plus de deux heures dans une symphonie visuelle d’une modernité absolument gigantesque. Auréolé d’une Palme d’Or au Festival de Cannes le cinéaste américain divisa fortement le public et la critique avec cette œuvre-phare sans concessions, sans commune mesure avec ces quatre précédents longs métrages accueillis pour la plupart sous le signe du succès et du plébiscite.


Terrence Malick nous avait laissé sur l’ultime image de son Nouveau Monde, contre-plongée totale présentant quelques arbres robustes à travers lesquels filtrait la lumière du Soleil… Nous le retrouvons six ans plus tard avec The Tree of Life, l’arbre de vie signifiant aussi bien celui du commun des mortels que celui d’une famille catholique pratiquante, famille présentée comme un portrait pour le moins nuancé de l’American Way of Life.


Parabole biblique conjuguant voix-off psalmodiée, visions canoniques de l’aube de l’humanité et cadrages fiévreux d’une splendeur quasiment inégalée en matière de limpidité The Tree of Life joue sur l’horizontalité de son regard, horizontalité n’excluant pas pour autant une vision d’ensemble doublée d’une hauteur inespérée. Mettant à égalité l’infiniment grand ( opéra cosmique, dinosaures haute définition, Smetana et son majestueux Moldau…) et l’infiniment petit ( un pied de nourrisson, une brindille négligemment arrachée, une flaque d’eau comme éventuel miroir…) Terrence Malick parvient à rendre son film éminemment universel. Échappant totalement au temps qui passe The Tree of Life nous montre pas moins que la vie, vie mêlée de joie, de réussites, d’amusements enfantins mais aussi de peine, d’accidents et de rêves brisés. En ce sens l’utilisation d’une narration éclatée, souvent achronique trouve toute sa pertinence à mesure que le métrage avance, suggérant élégamment les projections mentales du personnage du frère incarné par Sean Penn.


On pense bien entendu à tout le cinéma venu et à venir du grand Malick, mais aussi au Zerkalo de Andreï Tarkovski au regard de The Tree of Life. Imposant et plastiquement somptueux, ce grand film touché par la grâce marque en nous son empreinte, comme un film peu évident mais nécessaire. J’ai adoré.

stebbins
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le 31 août 2015

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stebbins

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