Myroslav Slaboshpytskiy nous plonge dans un silence tendancieux qui asphyxie la moindre parcelle de sensations sonores qui se trouvent sur son passage. Seuls des cris de douleurs, des claquements de tables stridents, des frottements de peaux, des bruits de pas, des explosions de bouteilles viendront casser le rythme d’un silence sauvage aux couleurs froides et enneigées. Sordide comme peut l’être une œuvre de Michael Haneke, The Tribe, qui d’ailleurs porte bien son nom, est une odyssée malaisante sans parole mais non sans émotion dans un pensionnat pour jeunes sourds et muets, lieu clos presque déserté par les adultes où tout ce petit monde d’adolescents en ébullition fera sa loi créant dès lors ses propres règlements et ses directives à la hiérarchie bien centrée.

The Tribe a des allures de western dans la construction de son récit avec cette histoire vue et revue : un nouvel élève arrive, il se mêle au groupe en prouvant sa force et sa bravoure, puis tombe amoureux de la protégée du chef. S’ensuit un affrontement final pour l’amour de la dulcinée. Qui laissera des taches de sang indélébiles cette fois ci. Dans cette volonté farouche et artistique de ne pas mettre de sous-titre pour la compréhension du langage des signes, The Tribe devient une œuvre hermétique, presque claustrophobe, mais dont la poésie sait rejaillir avec talent par petites touches comme durant ses scènes de sexe ponctuée d'une certaine tendresse. The Tribe marche non pas par la puissance des mots mais par la fulgurance des émotions.

Pourtant, c’est impressionnant de voir que malgré cette sécheresse dans la terminaison des mots qui lient les protagonistes, le film se révèle très vite compréhensible, où au fur et à mesure des minutes, l’immersion empathique devient totale, les gestes prennent sens devant nos yeux, l’expression de tout un tas de sentiments deviennent gracieux comme une danse à l’image de la belle Yana Novikova. La partition des acteurs reposent surtout sur leurs corps et leurs gesticulations. Se trouve là, l’une des seules limites du film dans son orchestration, car à trop vouloir jouer sur le côté monolithique de sa réalisation tout en plan fixe et sur l’aspect sensoriel des mouvements des personnages articulés à la seconde près (comme pouvait le faire un Jacques Tati), The Tribe en devient un peu trop bien chorégraphié et trop lisible (mais jamais prévisible) dans ses intentions à l’image de cette première scène de bagarre qui semble trop précise et trop méticuleuse pour faire naître une aspérité naturelle.

La réalisation, quant à elle, tout en plan séquence immobile ou jalonné de sublimes travellings, laisse place à une certaine imagination, dévoile une mini société qui agit comme une meute, où chacun à sa place, son rang, ses droits et ses devoirs. Une société hiérarchisée qui comprend un chef puis des sous chefs à la tête d’un réseau de prostitutions où deux jeunes filles vont faire le tapin pour de vieux routiers pour espérer quitter le pays et se payer un passeport pour l’Italie. Comme l’était The Great Ecstasy de Robert Carmichael, The Tribe se dessine un peu comme le chant du cygne d’une certaine part de notre humanité, une jeunesse isolée qui marche par instinct dans une routine malaisante mais aussi terrible, où la condition des relations humaines primitives finira inévitablement dans une violence sourde et soudaine.
Velvetman
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le 9 oct. 2014

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