Un film ukrainien sur nos écrans français ? De quoi nous mettre l’eau à la bouche, d’autant plus lorsqu’on connaît son succès retentissant au dernier festival de Cannes, dont la mauvaise réputation veut que ce dernier fasse émerger des films d’auteur radicaux peu accessibles, élitistes au point de pouvoir tout se permettre. Fort heureusement, le festival est loin de se limiter à ses préjugés, comme en atteste la plutôt bonne qualité des palmarès de ces dernières années.

Pourtant, "The Tribe" apparaît dès les premières minutes (et même à la vision de sa bande annonce) comme le cliché du film cannois, ou pire encore, l’archétype du film d’auteur détestable des pays de l’est (à l’instar du "Paradis : Amour" d’Ulrich Seidl sorti en 2011). Il possède cependant une singularité nouvelle et prend des risques : n’être tourné qu’en langue des signes sans dialogues, sans traduction car nous n’en avons apparemment pas besoin, ou plus honnêtement le cinéaste n’en a pas vu la nécessité pour appuyer le sens des scènes filmées.

Le film commence par l’arrivée d’un jeune adolescent dans une école de sourds muets. Bizutage oblige, il va se retrouver entrainé dans un groupe de garçons turbulents, ne cherchant que la bagarre et à se faire de l’argent en prostituant deux de leurs amies chez des camionneurs étrangers. "The Tribe" montre-t-il dans ce qu’il raconte quelque chose de nouveau, d’inconnu à nos yeux avant la séance ? En plus d’être un enfilade de clichés (vous n’échapperez pas à une tortueuse scène d’avortement pompée sur "4 mois 3 semaines et 2 jours" du roumain Cristian Mungiu, ni aux scènes de sexe crues qu’on a pu voir réalisées avec davantage d’intérêt dans "Clip" de la serbe Maja Milos), "The Tribe" les étire inutilement dans des longueurs insupportables, des plans séquences certes brillamment mis en scène mais provoquant un ennui sans bornes, en particulier dans ses scènes de violence abominablement gratuites.

Ce quadruple meurtre à la table de nuit vise à démontrer la monstruosité dévorante sur la psychologie du protagoniste que nous accompagnons pendant plus de deux heures. Ce n’est pas un film sur la masculinité, mais bien davantage sur la misogynie. Si le cinéaste gardait un œil objectif sur cette attitude, "The Tribe" aurait été passable et aurait eu davantage de potentiel, sous un aspect quasi documentaire. Malheureusement, la complaisance avec laquelle se déroule les plus horribles scènes sous nos yeux en démontre l’inverse. Filmés comme des animaux sauvages, les sourds muets subissent la caméra de Myroslav Slaboshpytskyi, véritable dictateur de cinéma comme on peut en voir très rarement.

À cette gratuité débordante, l’originalité primaire du film (tournage intégral en langue des signes) se fait vite oublier par sa non concordance avec la thématique. Pourquoi raconter ces atrocités avec ce procédé ? Quel est le but ? Immersion, subversion, provocation, masochisme, oppression ? Un peu des cinq sans doute. Rien n’y fait donc pour mettre en lumière cette mise en scène virtuose, qui pourrait être rendue fascinante si elle reposait sur quelque chose. Une tare du cinéma d’Europe de l’est et une torture sans limite, "The Tribe" n’est finalement rien d’autre qu’une mauvaise surprise ayant trouvé aveuglement de nombreux distributeurs, premiers responsables de la diffusion de cette merde infâme qui n’aurait jamais du voir le jour.
Forrest
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le 13 oct. 2014

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