Jerry, employé modèle le jour, meurtrier la nuit

The Voices est un film américano-allemand, réalisé par Marjane Satrapi.
Ce long-métrage est selon moi très intéressant, c'est pourquoi j'aimerais revenir sur plusieurs aspects significatifs du travail fourni dans cette critique.


Dans un premier temps, il convient de parler un peu de la technique. Le jeu des couleurs est vraiment agréable, chaque scène est dominée par une teinte de couleur particulière, un thème, et d'ailleurs Ryan Reynolds est habillé en fonction, ses costumes sont raccords avec l'ambiance générale dégagée par l'atmosphère. De plus le travail du chef opérateur rend l'esthétique du film très soignée, le film est beau. La réalisation, les cadres, le montage sont sobres, classiques en soit, rien de novateur mais on suit parfaitement l'histoire. L'alternance des grandeurs de plans permet de présenter l'action, les personnages dans les règles, puis de filmer les protagonistes sous plusieurs angles, c'est suffisant. Le rendu est sympa, surtout en sachant le budget alloué au film (11 millions de $), on peut dire que les équipes ont fait du bon travail.


Maintenant parlons de la symbolique, omniprésente dans le film. Il faut savoir que le personnage de Jerry est bien travaillé, en effet la psychologie du personnage est tout simplement fascinante. Magnifiquement servi par un Ryan Reynolds au top, l'acteur nous livre une formidable performance et parvient sans aucun soucis à transmettre de multiples émotions allant du rire, à la peur, comme si le rôle avait été écrit pour lui. Le personnage est marqué par de nombreux contrastes. Il souffre de troubles psychologiques, de nature calme, il se montre pendant une bonne partie du film doux, gentil et plutôt simplet. Mais c'est justement là que le film fonctionne à la perfection, puisque ce même personnage peut rapidement basculer et se transformer en monstre, effrayant, capable de faire du mal sans trop en avoir conscience. Un tueur en mesure de découper une femme dans sa cuisine, et entreposer la tête dans son frigo. C'est le premier véritable contraste du film, bien pensé, et renforcé par cette idée de double-vision. Effectivement, la vision de Jerry varie s'il prend ou non son traitement (médicaments). Sans prise de médicaments, la vision est idéalisée, c'est le point de vue récurrent du personnage, et donc du film. L'ensemble est beau, lumineux, coloré, presque parfait. D'ailleurs à ce moment là, le champ lexical de la beauté et de la perfection est plus que présent dans les dialogues (je pense notamment au dialogue avec la tête de Fiona qui survient juste après la crise de Jerry, une fois qu'il regrette avoir consommé ses médicaments). On peut même observer quelques papillons colorés dans la voiture de Jerry se rendant au travail. Il se complaît dans la folie, en tout cas une bonne partie du film. Avec la prise des médicaments, le contraste est flagrant. La vision devient cauchemardesque, les meubles sont tâchés de sang, il n'y a plus aucune couleur, l'appartement est soudain assombri, en désordre. C'est donc l'horreur de la réalité que le personnage ne peut assumer qui est ici retranscrit par la réalisatrice. Cette notion de double-vision est à nouveau utilisée par le biais du personnage de Lisa. A ce moment du film, c'est la vision de Lisa qu'on adopte, et on observe alors Jerry ainsi plongé dans la réalité, tentant en vain de rassurer Lisa tout en hurlant sur son chat (muet). Le spectateur prend alors conscience de toute la folie et la profondeur du personnage de Jerry. D'ailleurs un peu auparavant la révélation sur la mort de sa mère permettait d'entamer ce travail de réflexion, et explique aussi en quoi le personnage est torturé par ses envies de meurtre et sa culpabilité indéniable. Le personnage souffre réellement à plusieurs niveaux, et commence d'ors et déjà à perdre le contrôle.


Il est aussi à noter que le rapport à la religion est très présent dans le film. Entre les devinettes de Jerry sur "les anges et Lucifer", le fait que l'on évoque régulièrement ces fameux "anges" (d'ailleurs la mère de Jerry déclare entendre la voix des anges), mais aussi toutes ces notions de pureté dans la tête de Jerry.
Un exemple marquant : Dans la voiture avant le premier accident, il contemple Fiona sous forme d'ange. Le lendemain alors qu'il va chercher le cadavre, le corps de Fiona gît encore au sol inerte, couvert d'habits blancs qui symbolisent la pureté. Au milieu de la forêt, sublimée par la lumière, elle semble apaisée et épanouie, comme un ange tombé du ciel (c'est la vision de Jerry).
Mais aussi, le chat qui évoque le mal, l'assouvissement des désirs et donc des péchés et le chien qui rappelle le bien, l'éthique et la morale.


Le dénouement est donc relativement logique, la police débarque dans son appartement. Le personnage choisit alors de se laisser mourir, en abandonnant ainsi la lutte, il met fin à ses souffrances morales.
La scène finale (pendant le générique) semble étrange aux premiers abords, mais pas tant que ça quand on prend le temps d'y réfléchir un peu. Jerry retrouve ses victimes, son père et sa mère, et même Jésus. Ensemble, dans une pièce vide et immaculée de blanc, ils vont faire la fête. La pièce est propre, sans la moindre tâche, juste blanche. Un peu comme l'esprit de Jerry, lavé de toutes souillures morales. De plus le personnage de Jésus est un choix logique quand on se remémore la symbolique qui traverse le film. La folie de la situation rappelle l'esprit malade de Jerry, mais cette fois c'est une scène de joie, de danse, et de chant ; il est (enfin) libéré.


En conclusion, The Voices est un bon film, bien plus travaillé qu'il n'y paraît, avec des choix de mise en scène cohérents, et une structure solide. Il peut se vanter d'avoir la capacité de distraire, de mettre mal à l'aise, de plonger ses spectateurs dans l'angoisse, mais surtout d'apporter une réflexion intéressante.
En bref, un film que je ne peux que recommander.


(Merci à ceux qui auront eu le courage de me lire jusqu'au bout)

Cineg
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le 6 nov. 2016

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