Souvenirs de carton

L'espace. Étendue silencieuse et infinie où brillent d'innombrables étoiles solitaires. Perdu au milieu du Rien, un vaisseau, celui de Yoko. Androïde travaillant chez SPS, société de livraison de colis spatiale, elle sillonne l'Univers pour livrer des cartons aux rares êtres humains n'ayant pas encore sombré dans l'oubli. Voyage contre le temps, quête insensée et désespérée qui semble aussi vaine que merveilleuse, "Hiso Hiso Boshi" - littéralement "Etoile d'Arsénic" si on en croit Google Traduction - ou "The Whispering Star" en occident est une oeuvre poétique dystopique et défaitiste sur la mort et la solitude.

"The Whispering Star" sonne comme un véritable retour au source pour Sono qui nous offre ici une oeuvre d'une sensibilité rare, bien plus proche de "The Room" que de ses œuvres survoltées qu'on connait tous plus ou moins. Si tous les détails ne sont pas explicables ou justifiés, le message général est clair et pas des plus gai : un jour tout finira par disparaître, en ne laissant derrière nous que des souvenirs symbolisés ici par ces mystérieux colis. L'oeuvre est - encore une fois à l'image de "The Room" bien que nettement moins hermétique - entièrement chuchotée. Rien ne vient perturber ce calme morbide, l'expérience étant purement contemplative et sensorielle.

Mais pour qu'un objet filmique ne tombe pas dans l'oubli et réussisse à véhiculer un tel message, il faut une identité visuelle propre, doublée d'un style fort et inoubliable... et fort heureusement c'est bel et bien le cas ici. Sans conteste l'oeuvre la plus belle esthétiquement parlant de Sono que j'ai eu la chance de voir à ce jour. Hormis lors d'un plan nostalgique de verdure à travers une fenêtre, tout est affublé d'un sépia impersonnel mais tristement efficace. Les scènes de livraison sont en réalité une succession de plans larges tous plus magnifiques les uns que les autres, apologie d'un vide grandissant et omniprésent, vision d'un monde dévasté, détruit, post-apocalyptique. Soigné jusque dans le moindre détail, "Hiso Hiso Boshi" est une expérience unique en son genre qui vaut le détour.

Je suis conscient qu'il ne plaira pas forcément à tout le monde, bien qu'il semble assez invraisemblable de voir ce film tomber entre les mains de spectateurs non-avertis tant il est difficile de se le procurer, mais j'ai personnellement beaucoup aimé. L'attente fut longue mais le bilan est à la hauteur de toutes mes espérances. Je suis sans doute encore trop jeune pour savoir quel serait l'objet-souvenir que je souhaiterais laisser à la postérité, mais en attendant ces lignes feront l'affaire, afin de, peut-être, vous donner envie de vous aventurer à votre tour dans cette épopée étrange mais merveilleuse.

PS: Quelques trucs en plus que je ne souhaitais pas faire apparaître dans la critique mais qui ont attiré mon attention:

• Il y a des images de véritables objets ou ensembles célestes qui sont
  utilisés comme toile de fond durant les séquences de vol spatiaux,
  pour un résultat d'un plus bel effet.


• J'ai particulièrement apprécié le moment où le robot de bord grille complètement et meure dans une avalanche de mousse de bain et de
  laine de verre.


• La dernière livraison en ombres chinoises qui symbolisent la vie de personnages anonymes est juste sublime, l'image de ce long couloir
  surréaliste reste gravé dans les mémoires.


• Petit détail qui a son importance : on ne voit jamais - hormis à la toute fin - les réactions des personnages lors de l'ouverture de leur
  colis. On retrouve ici une certaine forme de pudeur qui me touche et
  qu'on peut voir chez Kawase également, comme si on voulait respecter
  ces personnages bien que fictifs.