The Whispering Star, est le meilleur film de Sono Sion que personne ne verra jamais. A peine diffusé dans quelques salles de quartiers sur son sol domestique, il est toujours inédit en France. L’attente provoquée par sa diffusion au festival de Toronto, encore empirée par des trailers énigmatiques et intriguants semble donc ne jamais aboutir, là ou des films plus discutables, The Virgin Psychics en tête, avaient réussi à se hisser dans quelques festivals hexagonaux.


Pourtant, des six films récemment enchaînés par le réalisateur, (Tag, Love and Peace, Shinjuku Swan, The Virgin Psychics, Antiporno et donc, The Whispering Star), il est sans aucun doute l'un des plus intéréssants, aussi bien en tant qu'objet filmique que comme marqueur dans la carrière de ce cinéaste culte. Là où ses films récents laissaient voir une fatigue et un détachement triste par rapport à son art, à l'instar de cette séquence du documentaire The Sion Sono où il demande à un assistant si il ne veut pas tourner The Virgin Psychics à sa place, avouant ne même pas avoir lu le scénario, The Whispering Star, tout comme le très récent Antiporno se vivent comme le retour à la passion d'un cinéaste blasé.


Un retour à la passion, mais aussi un retour vers le passé. Sono Sion a maintenant cinquante ans et il commence à envisager sa mort. The Sion Sono le présentait totalement obsédé par le temps qui passe et son incapacité à revenir vers ses jeunes années. L'excellent Why Don't You Play in Hell et le correct Love and Peace étaient déjà l'adaptation d'anciens scénarions, écrits il y a des quinzaines d'années. Avec The Whispering Star, Sono Sion s'enfonce dans sa nostalgie jusqu'au bout et met en images le premier scénario qu'il n'aie jamais écrit, adapté lui même d'un de ses premiers poèmes adolescents.


Pourtant, peu de fougue adolescente dans The Whispering Star, là ou Antiporno rappelait les fantômes de Tokyo GAGAGA, son ancien mouvement punk, par une mise en scène expressioniste et des sujets sulfureux, son étoile chuchotante (quel beau titre), évoque plus ses premiers métrages, particulièrement Keido Desu Kedo et The Room. Faisant de la lenteur de l'action et de la longueur du plan une obsession, ces films semblent presque une anomalie dans une filmographie surdécoupée et hystérique. C'est pourtant de ça, de cette époque que se réclame The Whispering Star. Le noir et blanc est chiadé, tous (TOUS) les dialogues sont chuchotés et les plans se font hypnotiques par leur longueur. On pense aux quarante premières minutes, huis clos ménager rappelant aussi bien Chantal Ackerman que Mamoru Oshii. On a une certaine fascination à voir Megumi Kagurazaka nettoyer son habitation au ralenti, passant deux, trois, huit fois la serpillère sur un sol pourtant propre, à la voir dialoguer avec un pilote automatique doté de conscience et d'une voix joyeuse d'enfant.


Lorsque Megumi Kagurazaka touche terre, afin de livrer ses mystérieux colis, le film prend toute son ampleur. Tourné à Fukushima dans des no man's land dévastés (à voir cette scène incroyable ou le personnage se déplace au mileu des bateaux de pêcheurs, ramenés sur terre par le tsunami), il se lance dans une extraordinaire analyse de la solitude humaine, un monde post-atomique, post-moderniste ou les hommes se baladent dans la rue avec une canette vide sous la chaussure, dans le seul but de se sentir moins seul, accompagnés par le bruit du metal contre le sol. Un monde où la mort est omniprésente et acceptée, où la vue d'une autre personne est un événement fabuleux. Après la fureur de Himizu et la douceur de The Land of Hope, c'est avec un pessimisme certain que Sono Sion évoque ce monde post-atomique où l'homme ne vit plus que pour que ses souvenirs et où les machines, dôtés de conscience (« je l'ai décidé moi même ! » s'exclame le pilote automatique au début du film) sont peut-être plus humaines que ces coquilles vides de chair et d'os.


The Whispering Star est un film important dans la carrière du cinéaste. C'est peut-être son plus personnel le plus longtemps, son plus maîtrisé depuis des années et le plus sensible de sa carrière. C'est un film différent, loin des massacres d'étudiantes et des orgasmes colorés, c'est un film fin, doux, qui prend le temps d'établir une ambiance et un univers. On pourra y préférer la folie furieuse d'Antiporno, mais The Whispering Star nous montre que Sono Sion est capable de différent, capable de se poser, de faire évoluer son cinéma et de se poser à contre-courant de ce qu'on attend de lui. Qu'un réalisateur au style si défini et si personnel puisse encore nous surprendre, c'est déjà bien, quand en plus, en le faisant, il signe l'un des meilleurs films de sa carrière, c'est fabuleux.

Omiya
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le 4 nov. 2016

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