Les meilleurs films de super-héros sont en général l’œuvre de réalisateurs talentueux : Christopher Nolan a littéralement réinventé Batman, Sam Raimi a fait de Spider-Man une saga spectaculaire très attachante, Bryan Singer nous a fascinés avec sa relecture des X-Men, Matthew Vaughn nous a livré une pure bombe de divertissement avec Kick-Ass (espérons que ce soit encore le cas avec le prochain X-Men : First Class). La tendance se confirme avec l'adaptation de Thor par Kenneth Branagh. Très en phase avec son univers shakespearien de prédilection, l'intrigue de Thor lui permet de mettre en scène la déchéance puis la rédemption d'un dieu qui a trahi son père et tous les siens par son ambition et son arrogance dévorantes. Exilé sur Terre et privé de ses pouvoirs cosmiques par Odin, Thor va donc apprendre sur le tas une sacrée leçon d'humilité, tandis que son frère va s'emparer du trône qui lui est destiné.

S'il y a bien du Shakespeare dans cette nouvelle adaptation issue des studios Marvel, à travers la peinture des relations filiales et fraternelles, Branagh n'en reste cependant pas prisonnier, il s'en sert habilement afin de démarquer son film des habituelles productions hollywoodiennes du même genre misant tout sur la surenchère d'action et d'effet spéciaux. Ici, l'action se déploie intelligemment, à point nommé, jamais hystérique et même porteuse d'une singulière beauté. Les décors d'Asgard, la cité des dieux, sont grandioses, offrant un contre-point presque onirique aux scènes terrestres, forcément en retrait. En retrait, mais seulement sur le plan esthétique, car elles ne sont certainement pas dépourvues d'intérêt. Branagh leur donne une dimension comique et décalée, négatif burlesque de la solennité tétanisante d'Asgard. Le film, construit sur une implacable montée en puissance, joue sur les deux plans avec une aisance et une fluidité confondantes. Le montage, moins binaire qu'il n'en a l'air, épouse le va-et-vient incessant entre les deux mondes, celui des dieux et celui des hommes, avec une belle intensité dramatique. On se laisse ainsi entraîner dans la quête de Thor, qui cherche désespérément à récupérer la source de son pouvoir : son fameux marteau enchanté. Pour y parvenir, le dieu déchu devra compter sur l'aide de Jane, astro-physicienne, incarnée par une Natalie Portman à la fois vulnérable, dépassée par les événements extraordinaires auxquels elle assiste, et inébranlable dans sa volonté aveugle de trouver des réponses. Elle incarne, dans sa banale humanité, la mesure qui fait tant défaut à Thor. Quant au reste du casting, Kenneth Branagh, habitué des drames shakespeariens, ne néglige aucun personnage, malgré l'ampleur de leur galerie. Chris Hemsworth joue parfaitement son rôle de jeune dieu inconscient et arrogant, Anthony Hopkins impressionne dans le costume d'Odin, Tom Hiddelstone donne à Loki un double visage assez troublant, à la fois angélique et malveillant. Même Heimdall, le gardien du portail céleste d'Asgard (interprété par le monolithique Idris Elba), a droit à des répliques savoureuses, insolentes, et à son quart-d'heure de gloire.

Truffé de clins d’œil à l'univers Marvel (allusions amusantes à Tony Stark, apparition d'Oeil de Faucon, caméo post-générique de Samuel L. Jackson dans la peau de Nick Fury), Thor sait se montrer spectaculaire, grâce à des effets visuels d'une beauté irréelle : les séquences dans la cité des dieux ou les affrontements sur la planète de glace Jotunheim ressemblent littéralement à des rêves éveillés. Les effets spéciaux, délicieusement rétro mais toujours maîtrisés (respectant ainsi l'esthétique du comic écrit dans les années 60), n'occultent en rien la puissance cosmique et dévastatrice de ses protagonistes divins. Le prologue guerrier sur Jotunheim, une séquence de combat suicidaire contre les Frost Giants, l'intervention destructrice d'un colosse métallique cracheur de feu ou le duel final opposant Thor et son frère Loki, offrent de beaux morceaux de bravoure, que la musique de Patrick Doyle vient renforcer de ses grands accords épiques.

Maîtrisant son film de bout en bout, autant dans le spectacle que dans l'intime, autant dans le comique (jamais ridicule) que dans le solennel (jamais pompeux), Kenneth Branagh nous livre un divertissement de grande classe, teinté de tragédie shakespearienne, honorant à la fois le matériau qu'il adapte et les néophytes. Ne boudons pas notre plaisir, ici pleinement permis, d'autant plus que Thor, original et savoureux, ne ressemble à aucun autre film de super-héros. Dans la famille des adaptations Marvel, il fait sans doute déjà figure d'au-Thor-ité !
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le 26 août 2011

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