C’est vrai, je ne suis pas un habitué du style de Hong Kong. Donc quand j’en vois un par hasard, c’est toujours une surprise, puis une réévaluation, ou une révélation. Puis j’oublie. Ça peut ressembler à un beau bordel un film de Hong Kong. C’est pour ça qu’on oublie. C’est le génie du bordel organisé. Ainsi, il ne faut pas s’étonner de voir le personnage principal d’un film s’effacer, devenir un maillon faible, et un autre gars apparaître et prendre la place le plus naturellement du monde sans prévenir.
Le duo mal assorti. Un amateur et un professionnel vont faire équipe. Facile. Il ne faudra pas être surpris de voir un faux-semblant de dramaturgie. Un jeu de rôle sans grand suspense, action pur et dur. Ne pas s’étonner non plus de voir disparaître le scénario. Il ne sert plus à rien au bout d’un moment, ça devient limite incompréhensible, donc autant l’oublier.
On part d’une ambiance Trainspoting, jeunesse paumée, perdue dans une mégapole inhumaine, un jeune drogué magnifique dans une farce urbaine. Et puis ça s’accélère et ça devient vite hystérique. C’est une copie à peine dissimulée du style vidéoclip qui a fait les belles heures du cinéma contemporain. No message, more fun, insouciance coupable, etc. Et voilà que s’invite la tension, la vraie ! On passe de divertissement innocent à thriller Hongkongais. C'est un trafic de drogue entre un cartel sud-américain, et une triade chinoise. Facile pourrait-t’on dire. Certes. Mais Tsui Hark se donne les moyens pour que son pitch à deux balles devienne grand. Et on voit qu’il ne fait pas les choses à moitié. Escale en Colombie pour un règlement de comptes, guerre de gangs stylé à la Michael Mann, spectateur embarqué au milieu des tirs de pistolets mitrailleurs, rythme à ressort. Plans musclés en espagnol sous-titré: Anglais-Mandarin sous titré pour que ça fasse plus vrai. Un peu de glauque, et ça s’en va, et ça revient. On ne comprend plus, et pourtant c’est là que la magie s’opère.
On s’en fout de savoir si c’est une histoire de racket, de dette de jeu, de flics ou voyou, de femme enceinte...
Même Tsui Hark s’en fout de toutes façons. Ça se transforme en ballet virtuose c'est tout. Ça tourne tant et tant qu’on a vite la tête à l’envers comme un cascadeur pro. La caméra devient un punching-ball, et le caméraman un styliste qui nous envoie dans les cordes furieuses, dans des plans imprévisibles, et des cascades de ouf, des raccords hasardeux, voire fantaisistes (?) Tout ça surmonté par une vision très précise et très claire de ce qu’il a à faire: Nous faire tourner la tête.
Un maelström qui donne réellement le vertige, voilà! Il pourrait être vite lassant. Sa maîtrise faussement nonchalante, et le manque d’enjeux qui ne peuvent que plomber le film. Le spectacle survit, et le reste surnage avec beauté. Son sujet reste le vide flamboyant. Même en résistant de toutes mes fores, je suis rentré finalement dedans, aspiré par le manège en folie. Il est lucide Hark, au point de nous faire une leçon de film d’action, et de cinéma spectacle tout court. Ce film, c’est plus virtuose et aussi vain que le Die Hard de Mc Tierman. Proche du blockbuster ricain, avec beaucoup plus de liberté formelle, en sus, voilà Hark. Une liberté assez frappadingue quand on sent la rigueur qu’il a en dessous, pour faire tout tenir debout. C’est solide comme un montage d’école d’ingénieur. On peut oublier tout, se caler dans son fauteuil et se laisser emporter. Par contre faudrait m’expliquer la présence des pigeons, et autres colombes dans les films de Hong Kong. Ils ont souvent la manie d’apparaître (soudain), quand le moment est critique. Il y a un moment de calme, apparent. Et puis ça repart. J’en vois aussi pas mal chez John Woo... est-ce que c.e ne serait pas le syndrôme Barry Lindon, par hasard ? Et ça repart, vertige à tous les étages. Le film est à l’image de la mégapole, complètement hors de contrôle, Hark. Il a voulut un immense jeu de forces en mouvement, qui contraste totalement avec la froideur de la ville, impersonnelle, statique.
Comment sortir du cliché film de gros bras, et arts martiaux orchestré, pour arriver à une proposition visuelle ? Voilà Time And Tide, le film d’action hystérique et bourrin, par un virtuose qui ne pêche que par excès ou rien. Le déséquilibre on dirait qu’il a ça dans la peau. Et comme par magie, tout semble prendre place devant nos yeux. Pas pour longtemps, je vous rassure, on est en équilibre instable. Un putain de film d’action qu’il a voulut faire là. En alternant le mou, (narration mignonne, amusante), mêlé à de l’action survoltée, et une mise en scène d’artiste. La forme, le formel. Pas une seconde de répit, même pour les femmes enceintes. Réussite, donc.