Tsui Hark, l’homme orchestre du cinéma de Hong-Kong (producteur, réalisateur, acteur) trouvera-t-il grâce aux yeux du public occidental ? Trop méconnu, le producteur initial de John Woo et de plus d’une soixantaine de films hong-kongais, a traversé une période de crise, qui l’a conduit à tenter l’expérience hollywoodienne avec Jean Claude Van Damme à la fin des 90’s (et oui tous les chemins mènent à Rome mais pas forcement à César). Tsui Hark est avant tout un réalisateur prolifique dont l’étendue de l’œuvre reste difficilement mesurable au sein de la film workshop, sa maison de production (une trentaine de réalisations officielles auxquelles il conviendrait d’ajouter un bonne douzaine de réalisations officieuses).

Time and Tide marque donc le retour de Tsui Hark à la réalisation totalement made in Hong-Kong. Cependant ce film tourné en quatre mois et sorti dans l’ex-colonie en mai 1999, n’est pas son dernier film puisque trois films l’ont déjà suivi : Zu 2 , Black Mask 2, et Master Q.

Aussi pour marquer son retour, Tsui Hark pensait faire de Time and Tide un remake de L’enfer des armes, l’un de ces précédents films d’une violence crue, sorti en 1980, qui fut un véritable film manifeste de la nouvelle vague hong-kongaise (mouvement qui avait plus à voir avec le no-future qu’avec notre nouvelle vague française) et offrait une vision désespérée du monde contemporain.

Mais à la vision de Time and Tide, on s’aperçoit que Tsui Hark a dû laisser peu à peu tomber l’idée du remake pour aller vers un propos moins pessimiste, en s’orientant vers le divertissement. D’ailleurs, ce film traduit un réel désir d’intégration de la culture du jeune public chinois, puisque les deux héros du film sont incarnés par Nicholas Tse, une popstar à Hong Kong, et Wu Bai son homologue taïwanais. Même si ces deux acteurs ne s’en sortent pas si mal, dites-vous qu’ils pourraient être bien la cause de votre plaisir visuel mais aussi de votre malaise auditif, car Tsui Hark aime ce que l’on pourrait appeler la “ variété chinoise ” (ça, c’est une constante dans son œuvre) et Wu bai a participé activement à la BO.

Tout commence par une voix-off, "le premier jour le maître créa la lumière ...", et la genèse défile ainsi jusqu’au 7ème jour. Un montage alternant entre illustration du propos et narration nous perd et, finalement, nous mène au narrateur, le jeune Tyler (Nicholas Tse), qui s’applique avec vigueur à exercer sa fonction de barman réconfortant auprès d’une jeune lesbienne au look punky qui vient de se faire plaquer par sa compagne. D’emblée le contexte, les couleurs, et les dialogues peuvent nous faire penser au Hong Kong de Wong Kar-Wai, et les ersatz “ d’anges déchus ” que semblent être Jo (Cathy Chui) et Tyler n’infirment pas cette supposition. Toutefois, le montage nous dit autre chose. Le profane qui ne connaît pas le cinéma de Tsui Hark a droit ainsi à sa petite acclimatation, mais la présence d’une fureur issue d’une sensibilité plus bestiale que celle du grand Wong se devine dans l’utilisation très typée de multiples raccords convulsifs.
Chavirement total ! Réveil chaotique du couple dans le même lit. Tyler tombe sur un portefeuille qui lui révèle qu’il vient de passer la nuit avec une femme flic...Heurts et confrontation immédiate. Jo disparaît et Tyler ne la recroisera que neufs mois plus tard, enceinte jusqu’aux dents. On s’aperçoit que l’introduction, pleine de relents philosophiques mal digérés de l’adolescence et d’une forme de frivolité, avait l’arrière goût du thème des dernières vacances. Les personnages principaux, Tyler et Jack ( Wu Bai), les deux héros masculins, devront faire table rase de leurs passés respectifs afin de se responsabiliser pour passer le cap de la paternité.

En clair, Tsui Hark revient au thriller d’action pour nous faire partager le parcours initiatique de deux futurs papas qui évoluent dans un monde qui n’est que bruit et fureur.

Bien sûr, leur accouchement sera symbolisé par moult épreuves, dignes d’un doom-like où les calibres et les baudriers feront office de forceps. Mais, spectateur de ce film, vous ne pourrez ignorer que vous êtes face à une production de la film Workshop. On retrouve donc, comme dans les Syndicats du crime de John Woo, des pointes de féroce énergie, et un lot de situations improbables qui ont pour seul but de bien mettre les points sur les “ i ” dans un flot de jubilation cathartique.

Néanmoins, dans ce monde sans pitié, la chose la plus bouleversante pour ces hommes-enfants reste le mélange de fragilité et de détermination, exprimé par le regard d’une femme qui s’apprête à donner la vie. Et, c’est avec une dextérité très symptomatique que Tsui Hark a su donner une place prépondérante à ce genre d’éléments, dans ce qui s’avère être avant tout un film d’action. En effet, Tsui Hark a touché à la plupart des genres cinématographiques, mais le goût d’une certaine forme de romantisme est un fait qui caractérise une grande partie de ses réalisations. D’ailleurs Tsui Hark a la réputation de ne participer qu’avec distance à la réalisation des scènes de combat de ses films. Par le passé, il aurait même volontiers délégué le tournage des scènes de combat à Ringo Lam, son ancien assistant (aujourd’hui réalisateur). Aussi, Time and Tide ne cesse de lorgner vers la comédie et le drame intimiste. Au-delà des gags, certaines scènes sont matinées d’un humour distancier qui veut traduire les désillusions d’une jeunesse hong-kongaise. C’est ici que réside le grand charme du film. Tsui Hark aborde son thriller comme un laboratoire où artifices et scènes de violence chorégraphiée slaloment entre des tranches de vie plus réalistes, avec çà et là les pointes d’un "blues" urbain. Par ailleurs, la diversité de ton, alliée à un montage survolté qui jongle avec une temporalité multiple et un traitement très formel de l’action, parasite parfois la compréhension. Il est probable que les spécialistes des films du réalisateur/producteur y verront une rythmique qui traduit l’aboutissement d’une forme visuelle n’appartenant qu’à la catégorie reine du cinéma hong-kongais. Mais il faut admettre que la première heure du film manque de lisibilité, et ce manque est accentué par des excès sonores. D’autant plus qu’un manque évident de rigueur dans la construction de certains personnages tend à brouiller les pistes. La bande rivale, contre laquelle les deux héros vont devoir lutter, est une parodie de gang sino-latin (vulgaire caricature !?) parachutée dans la diégèse avec une gratuité certaine. Ces gangsters mariachis semblent être là pour donner une bonne dose d’exotisme, à tel point qu’ils donnent la sensation de ne pas jouer dans le même film. Au final, le caractère pathétique de ces éléments instaure une distance qui affaiblit la perception d’une intrigue pourtant simple.
Alors que l’été dernier, sur les écrans français, La mission, l’un des derniers gun-fight de Johnny To (réalisateur révélé pas Tsui Hark) offrait une vision étonnement contemplative (et donc plus sobre) d’un genre arrivé à son paroxysme. Tsui Hark nous offre une vision du genre plus ouverte sur la comédie de mœurs (volontiers bavarde), avec en filigrane, le réel désir de rendre compte d’une réalité sociale. Malgré tout, cet étourdissant mélange, tout en gardant les défauts de ses qualités, n’est pas dépourvu de charme. Espérons que ce charme, qui rime avec diversité, sera sûrement la principale raison du succès de Tsui Hark en France, et qu’il permettra une meilleure distribution de ses films (nouveaux ou anciens) sur nos écrans.
N.CHOPIN-DESPRES
*POUR *OBJECTIF CINEMA**

Leprez_Chopin
8
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le 9 mai 2015

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Leprez_Chopin

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