Ce film de Stefan Liberski est une adaptation du roman autobiographique Ni d’Eve ni d’Adam d’Amélie Nothomb. Même s’il s’agit d’une libre adaptation (Amélie elle-même apprécie le film parce qu’il ne ressemble pas tant que ça au roman), il s’agit bien des aventures d’Amélie au pays du Soleil-Levant. D’ailleurs, le ton est bien celui d’Amélie l’écrivaine, avec sa façon de mettre sa vie sur le papier et de la commenter. Pour rendre l’éternelle autosatisfaction du personnage, le film utilise la voix off, régulièrement et à bon escient.


L’histoire tourne autour de la romance qui se noue entre Amélie (Pauline Etienne) et son élève Rinri (Taichi Inoue). Amélie débarque au Japon à 20 ans, avec une candeur certaine et un aplomb phénoménal. Elle a passé ses 6 premières années là-bas, y est née et y a vécu avec ses parents diplomates Belges qui sont ensuite retournés au pays. Que vient faire Amélie au Japon ? Y vivre car, en toute simplicité, elle se considère comme Japonaise. Voilà, c’est Amélie tout craché. Son but ultime, devenir un vieil écrivain japonais. Amélie (le personnage) dit qu’elle n’arrive pas à écrire, mais Amélie (Nothomb) est évidemment une obsessionnelle de l’écriture, puisqu’elle a toujours affirmé avoir des dizaines de romans dans ses tiroirs. Comment en douter quand on sait qu’elle sort régulièrement un nouveau titre chaque année ? On peut certes imaginer qu’elle vit sur son expérience japonaise ainsi que sur son enfance de surdouée vivant dans un milieu original et privilégié.


Amélie a un physique d’européenne (brune aux cheveux courts, mince avec des jambes de sauterelles sur lesquelles elle semble souvent comme montée sur ressorts) et arrive là en ne doutant de rien. Elle connaît vaguement quelques européennes expatriées et elle va (bien) gagner sa vie en donnant des cours de français. Un seul élève, dont le faible niveau dans notre langue l’amène à gaffer en la présentant. Ceci dit, si le film est évidemment une gentille comédie amoureuse, ce malentendu est ce qu’il y a de mieux en termes d’humour dans le film. Parce qu’un dialogue de ce type :


Rinri : J’appartiens à une société secrète.
Amélie : Une société comment ?
Rinri : Une société secrète.
Amélie : Une secte ?
Rinri : Non, une société secrète.


ça fait son petit effet dans le contexte (position des protagonistes, le manque de vocabulaire de Rinri, les mimiques d’Amélie, etc.) mais ce n’est quand même pas hilarant au dernier degré. A moins évidemment d’être un(e) inconditionnel(le) d’Amélie Nothomb. Il y aura donc du monde pour s’extasier parce que, par principe, tout ce que dit ou fait Amélie est génial. D’accord, elle se débrouille plutôt bien avec la langue française et elle a le chic pour asséner quelques vérités. De là à entrer dans son jeu les yeux fermés, ce serait abandonner tout esprit critique.


Cette histoire complète Stupeur et tremblements qui a fait l’objet d’une adaptation honorable par Alain Corneau, puisqu’on retrouve finalement Amélie employée chez Yumimoto. Stefan Liberski a la sagesse de faire en sorte que ce soit bel et bien une autre histoire. Ceci dit, le vécu amoureux d’Amélie est-il sensiblement plus intéressant que la moyenne ? Évidemment cela se passe au Japon, pays fascinant. Et le réalisateur ne se prive pas pour nous montrer de nombreuses scènes dans les endroits les plus divers de Tokyo. Il se permet une escapade en montagne, du côté du mont Fuji. Bizarrement, tout d’un coup on n’y croit plus vraiment. Pendant toute la première partie, Amélie est vêtue de la même façon (jupe et marinière, comme sur l’affiche), au point qu’on peut se demander ce qu’est réellement sa garde-robe. L’évolution se fait avec son changement provisoire de standing (logement prêté) et avec l’évolution de la relation qui se noue avec son élève. Son caractère individualiste ressort, donnant une issue plausible à cette romance presque idéaliste où tout ou presque repose sur la fraicheur de l’actrice principale et l’ingénuité de son élève. N’oublions pas les parents de celui-ci, qui se montrent un peu trop pressants.


Puisqu’il y a des différences avec le roman, la plus notable concerne probablement l’intégration du tsunami à l’intrigue. C’est le danger représenté par l’accident de Fukushima qui va créer les conditions idéales pour clore l’histoire de façon émouvante.


Stefan Liberski, réalisateur Belge et ami de longue date d’Amélie (il l’a filmée dans un documentaire), réussit un film qui, s’il prend des libertés vis-à-vis du bouquin, est une adaptation fidèle à l’esprit d’Amélie Nothomb. Il donne à voir une romance agréable qui doit beaucoup à ses interprètes (Pauline Etienne est une Amélie parfaitement crédible, jusqu’au visage très expressif), un montage dynamique et une BO signée du fils du réalisateur (joli thème décliné sous d’innombrables variations). Le vrai plus, c’est le Japon et surtout la ville de Tokyo. Bel écrin pour cette histoire où le réalisateur met bien en évidence le choc des cultures, avec quelques épisodes assez cocasses. Le plus étonnant peut-être, c’est le petit air de famille entre Pauline Etienne interprétant Amélie et Jean Seberg interprétant Patricia, alors que Stefan Liberski ne lorgne pas spécialement vers une originalité cinématographique façon Jean-Luc Godard.

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le 2 mars 2015

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