De Gabin à Gabin : ambivalence et renouveau d’une star

Légende du cinéma français, porteur d’une liberté populiste au couleur du Front Populaire, Jean Gabin crève à nouveau l’écran dans le film de Jacques Becker, Touchez pas au grisbi.


Jean Renoir, Marcel Carné, ou encore Julien Duvivier, trois réalisateurs qui ont su mettre en lumière le charisme et la beauté atypique d’un homme qui deviendra rapidement une star - que dis-je, une icône - du cinéma français ; mais aussi un ami du peuple, un camarade.
Pourtant, notons une rupture entre les films du « réalisme poétique », tels que La Bête humaine (Jean Renoir, 1938) ou Le Jour se lève (Marcel Carné, 1939), et le film de Becker. Car oui, après la guerre la star Gabin n’est plus la même : fini le jeune prolétaire aux valeurs populaires aux ailes rapidement brûlées, laissez place à l’homme de droite, au « parrain » aux valeurs plus archaïques qui peut plier le genou sans pour autant périr…


Plus qu’un film de casse, Touchez pas au grisbi est un film sur l’amitié fraternelle. Ce n’est pas le butin qui nous intéresse ici – des lingots qui sont par ailleurs déjà dans le coffre d’une voiture avant même que le film débute – mais plutôt les liens qui unissent les hommes, en particulier Max (Jean Gabin) et Riton (René Dary). Des liens à l’épreuve du temps qui éreinte les personnages ; c’est bien Max qui tout au long du film ne se retient pas de mentionner qu’il est fatigué et qu’il préfère rentrer se coucher plutôt que de profiter de la femme qui l’accompagne. Des paroles qui ne sont pas anodines et qui trouvent un écho plus percutant que dans la seule diégèse du film : ce n’est pas seulement Max qui a vieilli, c’est aussi et surtout Gabin. Un vieillissement qui se voit par son physique qui a changé – des traits plus marqués, des cheveux plus blancs – mais aussi par sa persona qui a évolué et sa tendance à ne plus incarner les mêmes personnages.


Gabin, le patron, le « maître du jeu », tout en cachant au fond de lui une part de sensibilité. Une sensibilité ébranlée à partir du moment où on touche aux liens qu’il peut entretenir avec d’autres hommes qui lui sont proches. Mais l’ambiguïté chez Gabin s’exprime par la proximité qu’il entretient de manière intense avec le public. Gabin s’est un peu le man next door ou l’homme ordinaire, celui qui vit simplement, qui aime manger et boire, le tout « à la bonne franquette ». Un homme simple. La scène où Max oblige Riton à rester chez lui motive la proximité des personnages, et par extension la star Gabin et l’acteur René Dary, avec le public. En effet, cela pourrait paraître un détail trivial, mais lorsque Gabin se met en pyjama et se lave les dents devant la caméra cela produit un effet de proximité indéniable.


C’est par ailleurs captivant de se rendre compte de la différence du traitement des stars entre la France et Hollywood. Alors que Touchez pas au Grisbi s’inscrit dans la lignée du genre « film noir », il revendique une francité dans son traitement des stars. Lorsque l’on pense aux films noirs américains comme Assurance sur la mort (Billy Wilder, 1944) ou Laura (Otto Preminger, 1944), on note l’élégance et le glamour des stars américaines. Il est impensable de voir Fred MacMurray ou Dana Andrews en pyjamas, on nous donne à voir des figures masculines qui renvoie une élégance perpétuelle ; et même si on voit les actrices dans leur déshabillées, Barbara Stanwyck ou Gene Tierney, il en reste que leur glamour inné et hollywoodien est toujours présent. En France, l’élégance des hommes rompt dès lors qu’on les voit dans leur intimité, mais ce n’est pas grave, c’est en cela que le film noir français se démarque. La star française est moins distanciée et peut-être moins idéalisée, mais surement plus amicale et proche de ceux qui la regarde.


Après-guerre, Gabin devient plus proche des français que ce qu’il ne l’était déjà avant. La France vit avec lui, au rythme de ses films. Au cinéma il ne semble même plus incarner des personnages, mais simplement lui ; l’identité de l’acteur devient ambiguë.


Touchez pas au grisbi, film efficace et bel exemple du film noir français, témoigne idéalement du renouveau d’une star qui évolue sous les yeux de son public. D’autres films s’inscriront par ailleurs dans cette lignée tels que Le cave se rebiffe (Gilles Grangier, 1961), Le Pacha (Georges Lautner, 1968) ou encore Le Clan des Siciliens (Henri Verneuil, 1969). Mais c’est surement Le Chat (Pierre Granier-Deferre, 1971) qui propose une représentation des stars particulières faisant écho à un vieillissement de ces dernières. Le film montre un vieux couple qui continue de vivre ensemble malgré le dégoût qu’ils ont l’un de l’autre. Le couple Gabin-Signoret montre l’évolution de leur persona en incarnant des personnages qui, comme eux, vieillissent et évoluent.

Paupaulaite
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le 7 févr. 2018

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