Tout l'argent mais pas tout le talent du monde

Peu importe que "Tout l'argent du monde" soit le nouveau Ridley Scott ou relate l'histoire vraie du kidnapping en 1973 du petit-fils du milliardaire John Paul Getty, le film est désormais (et hélas) surtout connu de tous pour être celui où Kevin Spacey a été remplacé par Christopher Plummer afin d'éviter que le scandale sexuel dans lequel l'acteur est impliqué déborde sur la réputation du long-métrage. C'était évidemment perdu d'avance, ce fait divers n'a fait qu'éclipser celui au coeur de la nouvelle réalisation de Ridley Scott et lui restera à jamais indissociable dans la mémoire collective.


Ceci étant dit, après avoir découvert le film, on peut comprendre le malheur de Scott et cette nécessité de retourner dans l'urgence (un mois avant sa sortie) l'intégralité des scènes de Spacey car John Paul Getty est tout simplement le meilleur élément de "Tout l'argent du monde". Finalement peu présent à l'écran mais magistralement campé par Christopher Plummer (a-t-on vraiment perdu au change vu les abominables prothèses faciales de Spacey dans la première bande-annonce ? Pas si sûr...), cet homme dont le poids de la fortune a annihilé les dernières bribes d'humanité imprègne de toute son ombre l'histoire de cet incroyable kidnapping. Sa froideur implacable à laquelle semble répondre une peur à peine dissimulée de ne pas quoi savoir laisser comme trace au monde de son existence (le dialogue dans le forum en ruines sur la certitude de sa vie antérieure en tant qu'empereur Hadrien la trahit sans peine) le conduira à refuser de payer la rançon demandée par les ravisseurs de son petit-fils dans une espèce de logique pathétique de ne jamais ouvrir la moindre brèche sur sa fortune susceptible de totalement la dilapider. Chacune de ses apparitions apportera une dimension dramatique imparable à un récit qui, pour la plupart du temps, s'embarque dans un thriller dont on a hâte de le voir le terme.


En fait, à l'instar d'"Alien : Covenant" qui ne savait pas choisir entre être la suite de "Prometheus" et un nouveau film "Alien", "Tout l'argent du monde", lui, hésite sans cesse entre prendre la forme d'un drame ou d'un thriller et échoue sur les deux tableaux. La partie dramatique sur Getty fascinera indubitablement grâce au magnétisme glacial du personnage mais sa finalité à nous exposer la solitude d'un homme rongé par sa richesse ne débouchera que sur cet éternel sentiment d'inaboutissement qui caractérise la filmographie de Ridley Scott ces dernières années. Et puis, l'intérêt de cette partie est hélas complètement dilué dans ce thriller mou du genou qui vampirise tout le reste.
L'intrigue de la captivité du petit-fils parait sortir d'une autre époque avec ses rebondissements fumeux, surtout dans la relation amicale qui se développe entre le prisonnier et l'un de ses ravisseurs (la tête d'ange de Romain Duris peut faire avaler beaucoup de couleuvres mais tout de même), et dure beaucoup, beeauucoouup trop longtemps pour s'achever sur une résolution dont l'énormité frise la correctionnelle (la dernière séquence improbable dans le village italien).
Seule Michelle Williams, d'ailleurs seul véritable liant dans la dichotomie de ce film, parviendra à tirer son épingle du jeu pour insuffler tout simplement de la vie à une intrigue qui en manque désespérément, même si son personnage n'est pas aussi exempt de quelques bizarreries évidentes (pourquoi choisit-elle de subir les médias plutôt que de les utiliser à son avantage contre Getty ?).
Évidemment, la capacité de Ridley Scott à faire de belles images fera parfois illusion, seulement on se souviendra assez vite que le réalisateur avait filmé l'Italie de manière bien plus brillante dans son "Hannibal" et la comparaison fait très mal à "Tout l'argent du monde". De même que le panneau final nous annonçant qu'une bonne partie des événements relatés a été romancée achève d'enlever toute crédibilité à l'ensemble de l'approche du long-métrage.


Soit Ridley Scott est devenu schizophrène, soit il a la capacité d'attention d'un petit garçon de 5 ans mais, dans tous les cas, s'il ne parvient plus à se concentrer sur un même sujet dans un long-métrage sans partir dans tous les sens, il va falloir sérieusement songer à la retraite.

RedArrow
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le 27 déc. 2017

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