Un ressortissant du Sénégal, sénégalais donc et très noir de peau, rencontre un algérien et engage la conversation.
- Vous les algériens, vous êtes indépendants depuis quand ?
- Depuis 1962.
Grand silence et moment de réflexion du sénégalais. Puis :
- Et vous êtes déjà si blancs que ça ?
Nous sommes dans le vif du sujet. Un noir est un nègre dont la peau est noire. Pas café au lait, pas bistre avec des nuances plus ou moins subtiles (ou beige comme le dit Tania de Montaigne). Noire, comme du charbon de bois ou comme le petit noir servi au comptoir. Le tout est surmonté de cheveux frisés. Pas d'une chevelure raide parce défrisée au fer dans un salon spécialisé du 10ème arrondissement de Paris. Du crépu, du solide crépu, sans artifices, ni ambiguïtés. A la rigueur de la tresse, naturelle ou postiche.
Un nègre, un vrai, doit être garanti descendant d'un ancien esclave ayant été importé par un authentique négrier estampillé et ayant eu pignon sur rue en son temps dans une des villes portuaires de la France. Sont donc exclus les esclavagistes à la petite semaine qui cherchaient à rentabiliser une cargaison un peu maigre et sans doute pas assez rémunératrice à leur goût. Ce nègre doit par ailleurs être de pure race. Il doit descendre en ligne directe d'un aïeul, vrai esclave affranchi, mais sans indemnités. Sont par conséquent écartés les ancêtres qui ont folâtré et fait musette à droite et à gauche. Si le nègre répond à ces critères, il est invité à participer à la grande manifestation de commémoration de l'Abolition de l'esclavage le 27 avril prochain, en marchant de République à Nation.
Pour assurer le succès de son entreprise, Jean-Pascal Zadi fait la tournée des blacks qui ont réussi et qui sont célèbres pour les inviter à relayer son appel sur leurs réseaux respectifs. Jean-Pascal Zadi est non seulement le réalisateur du film, mais également son propre interprète ; nous assistons à sa tournée des popotes et ce n'est pas piqué des vers. L'identité des noirs est aussi diverse que les variations de pigmentation des peaux et nous assistons à de grands moments quand il s'agit de définir qui est qui et qui est plus qui que qui. Il y a des discussions qui peuvent même finir en bourre-pif et nous faire rire aux larmes devant certains échanges ubuesques.
J'ai ri, de bon cœur, de plaisir, devant l'absurde des situations mises en scène par Jean-Pascal Zadi et parfois devant son autodérision. J'ai moins ri quand j'ai entendu deux rires un peu plus loin, dans une rangée devant moi. Un garçon, préadolescent, éclatait de rire épisodiquement, parfois en même temps que moi, parfois à des moments différents qui moi ne me faisaient pas rire. Notamment à ces moments un peu particuliers où nous sommes dans l'ambivalence et où il faut savoir faire une écoute et une lecture au second degré. Sa mère aussi riait. Elle riait précisément et uniquement à ces moments là et ce qui la faisait rire c'était visiblement une lecture au premier degré, avec la conviction profonde qu'un nègre c'est un nègre. J'avais envie de dire à Jean-Pascal Zadi : « Fais gaffe ! Parfois, on ne peut pas rire de tout avec tout le monde », en même temps j'avais envie de lui dire : «Tu as quand même bien fait de faire ce film et de dire ce que tu estimes devoir dire ». Après tout, il faut parfois savoir faire avec...
Dans sa quête de soutien, Jean-Pascal Zadi ne se contente pas d'entrer en contact avec des personnalité célèbres, il se rapproche également des associations représentatives d'un segment ou d'un d'autre de la..."communauté" noire ou de ses alliés potentiels. Ainsi, une association de feujs, de rebeux, de blacks et de tanjs, qui n'a pas encore vraiment trouvé son dénominateur commun. Egalement, une association de femmes noires, d'origines diverses, rassemblant des dames qui ont le verbe haut et ne s'en laissent pas facilement conter.
Enfin, un regroupement de militants exclusivement composé d'hommes, qui le regardent d'un oeil noir et refusent tous la date du 27 avril qui est pour eux une date blanche. Elle donne bonne conscience aux descendants des négriers blancs et de ceux qui ont assis leur prospérité sur l'esclavage ; cette date ne concerne pas les noirs. La date du 25 août leur paraît plus appropriée pour bien signifier qu'il n'a pas échappé à la communauté que si les sénégalais étaient bons à servir de chair à canon en servant dans les régiments de tirailleurs pour libérer la France, ils sont tenus à l'écart lors des défilés à Paris qui rappellent cette Libération. Jean-Pascal Zadi n'est pas contrariant : va pour le 25 août !
Un groupe de rappeurs noirs dont l'omniprésent organisateur s'est rapproché en raison de leur notoriété finit par le virer manu militari quand il leur fait comprendre que les paroles de leurs prestations sont trop molles et quand, pendant une audition improvisée, il propose un discours tellement radical et clivant que les plus extrémistes des communautaristes apparaîtraient comme les agneaux d'une crèche vivante de Noël. Parce que le personnage joué par Zadi n'a pas renoncé, parallèlement à son activisme, à devenir une grande vedette, soit comme chanteur soit comme comédien selon les opportunités.
Jean-Pascal Zadi a une dentition très apparente au point qu'on ne voit qu'elle ; son physique est ainsi, comme d'autres sont roux ou blonds, noirs ou blancs : il faut faire avec. Et Jean-Pascal fait avec, à deux reprises dans le film : une première fois quand il rencontre ClaudiaTagbo, une comédienne et humoriste, et la seconde quand il rencontre Stéfi Celma lors du casting d'un film qui devait s'appeler Love dentist. Autodérision qui n'a pas échappé à ma voisine du siège avant, elle l'a saluée d'un rire plus gras que tous ses rires précédents.
Tout simplement noir met les deux pieds dans le plat d'un thème dont son auteur n'a pas provoqué l'actualité tant ce thème est prégnant et lancinant. Bon ou mauvais, ce film ? La question n'est pas là, un apport au dossier ouvert, avec une approche originale qui mêle humour et gravité. Cela me donne envie de terminer ma chronique par une dernière histoire, authentique celle-là pour en avoir été un témoin indirect. Vous la lirez et l'entendrez bien sûr au degré adéquat.
Dans une file d'attente, à une heure de pointe, à l'entrée d'un restaurant universitaire. L'étudiant-vigile de restau U, salarié du CROUS canalise du mieux qu'il peut ses condisciples tenaillés par la faim. L'un d'entre eux bloque la file, absorbé par une longue conversation avec un voisin. Le préposé à la circulation l' interpelle en ces termes :
- Dis donc le marchand de tapis, tu avances ou quoi!
Interloqué le jeune homme qui est d'origine maghrébine et qui n'a pas l'esprit de l'escalier :
- Ho ! Ça va le black ! Avant de vendre des tapis, nous on vendait des nègres ! Alors...
Le jeune homme qui canalise tant bien que mal la horde d'étudiants affamés est noir. Une vague de rires a parcouru la file formée par les étudiants. Elle a emporté sur son passage le descendant du Tirailleur sénégalais comme celui du Tirailleur algérien. En quelques secondes, était née une scène cinématographique que seule la truculence de deux esprits a pu engendrer et les rires n'étaient pas gras. Quoique...Quelques malfaisants avaient peut-être réussi à se faufiler dans la file d'attente et à dissimuler un rire de moins bon aloi et moins innocents derrière d'autres plus joyeux.