Il y avait beaucoup à craindre d’une incursion dans la comédie musicale par les frères Larrieu. Il ne faut bien entendu pas comprendre cette affirmation comme un mépris du cinéma de ce duo, dont l’esprit joyeusement transgressif et hédoniste nous séduit de film en film, avec à chaque fois beaucoup de surprises. Mais les tentatives françaises dans le domaine ont souvent bien du mal à se dégager de la figure toute puissante de Jacques Demy, dont les « chefs d’œuvre » en la matière ont quand même pris un léger coup de vieux pour rester poli. Et la crainte de voir des comédiens, certes excellents et habituels de leur cinéma, s’essayer à la chanson quand bien même ils ne seraient pas des chanteurs nés, et dans un tout chanté à 100%, n’était pas des plus rassurants. Heureusement, les Larrieu ont plus d’un tour dans leur sac et leur film est de leur propre aveu un vrai hommage à la comédie musicale hollywoodienne de l’âge d’or, du moins dans sa structure, mais réaménagée dans un contexte purement de chez nous, à l’aune de leur cinéma si singulier.


Tralala est un musicien de rue sans abri à Paris qui se retrouve à la rue définitivement suite à la destruction du logement qu'il occupait. Devenu vagabond aux airs de clochard céleste, il fait la rencontre à une table de café d’une jeune femme à l’allure quasi divine, dont il se demande s’il l’a rêvée. Tout juste a-t-elle le temps de lui dire « Ne soyez pas vous-même. » avant de s’évaporer aussi vite qu’elle était arrivée. Dérouté mais déjà amoureux, il va se lancer à sa recherche et se retrouver à Lourdes, ville des miracles supposés, où à défaut de la retrouver dans l’immédiat, il tombera sur une femme croyant reconnaitre en lui son fils disparu depuis des années. Endossant le rôle dans l’impulsion du moment, il va faire la rencontre de tout un microcosme qui lui permettra peut-être de se retrouver à travers ce mensonge …


La thématique de l’usurpation d’identité a été évoquée plus d’une fois au cinéma, mais jamais elle ne l’avait été par le prisme de la comédie musicale fantaisiste, sans que cela ne soit la base d’une réflexion sociétale réaliste. Ce mensonge parait ne même pas en être véritablement un dans le sens où celui-ci n’était pas prémédité et que notre « héros » endosse ce rôle sans avoir réfléchi aux conséquences possibles de ce mensonge. Et jamais cela ne sera montré comme un acte grave, étant le prétexte à l’évocation de toute une troupe de personnage, véritable petite famille dont le passé ressurgira à travers des chansons purement évocatrices, dans le plus pur style des comédies musicales d’antan où les chansons étaient un véritable moteur narratif faisant évoluer la dramaturgie.
Ce sens trouvé à travers les paroles est le cœur du film, et trouve son plus bel aboutissement en son centre, lors d’une longue scène dans une boite de nuit réouverte à l’occasion, faisant réellement décoller le film à travers la déambulation de son personnage se baladant dans le passé de celui dont il a pris la place, finissant par nous faire croire un instant qu’il est cette personne, alors que lui-même se perd dans sa rêverie et les souvenirs de tous les personnages ayant compté dans la vie du disparu. A ce moment-là, alors que dans un premier temps, on peinait à totalement pénétrer dans le monde du film, le cinéma des Larrieu ressurgit de la plus belle des manières, à travers des instants de l’ordre de la magie pure, où plus rien n’existe que ce qu’ils entendent nous faire passer comme émotions à travers une mise en scène onirique du plus bel effet. La maladresse de la majorité des comédiens au chant et aux chorégraphies devient la base de l’émotion à l’œuvre, car la sincérité de ces derniers et la mélancolie débordant à chaque instant suffisent à nous emporter.


On trouve de bien beaux moments tout au long du film, de ces instantanés qui font un grand film, ce que l’on attend de toute œuvre de cinéma. A savoir ces inattendus qui font décoller ce qui n’était qu’une esquisse vers un tout trouvant tout son sens. Ce sont ces « retrouvailles » entre Tralala et un amour de jeunesse que joue avec une exquise légèreté Mélanie Thierry, où l’on retrouve ce talent à filmer l’amour de manière pure et débarrassée de tout sentiment de culpabilité. La nature, le doux bruit du vent, et le jeu entre les deux protagonistes se transforme en séance de séduction irrésistible, où chacun joue son rôle sans se préoccuper de la vérité de tout ça. Peu importe que celle-ci soit dupe ou pas, elle accepte que l’homme ne soit éventuellement pas celui qu’il prétend, car ce qui se passe entre eux est du domaine de l’électricité, et donc existe en tant que lui-même, à ce moment précis. Il y a donc ce long «climax » de la boite de nuit, moment habituel des grandes comédies musicales où les numéros s’enchainent. Il y a même ces maladresses comme la chorégraphie de Mélanie Thierry qui pourrait confiner au ridicule mais se transforme à posteriori en moment dont on se souvient, parce qu’il se passe néanmoins quelque chose à l’écran, de l’ordre de l’imprévu, et donc de la poésie. On peut penser dans ces instants au « Jeannette » de Bruno Dumont, sauf que là où ce dernier tombait dans un ridicule profondément gênant, ce fragile équilibre trouve ici une grâce qui est du domaine du numéro de funambule où la moindre tentative incongrue pourrait faire sombrer l’ensemble dans la catastrophe, mais parvient à l’éviter par la sincérité évidente et cette impression que tout cela passe naturellement à l’écran.


On n’oubliera pas non plus la prestation de Bertrand Belin, musicien et vraie découverte, qui provoque le frisson dès qu’il pousse la chansonnette. Dans ces moments, on sent que l’on a à faire à un pur et dur. La texture de la voix, la chaleur envahissant d’un seul coup la salle, la talent de guitariste, et c’est un ange qui passe et nous saisit d’émotion pure. Voilà à quoi tient la réussite dans le cas présent ,à un alliage parfait de talents de différents horizons, dont le mélange à priori improbable fonctionne à l’écran de manière innée, parce que des cinéastes auront eu l’intelligence de penser que ces personnalités diverses pourraient offrir quelque chose ensemble, et auront réussi à les filmer pour faire naître de la magie. Ce qui est la base de ce que l’on peut attendre du cinéma. Et la preuve ultime que parfois, la patience est récompensée, alors que le début du film nécessite un effort pour en appréhender l’univers. Au final, on a envie de le revoir dans la foulée pour assimiler toutes les paroles, et tout simplement apprécier les moments de magie que nous auront généreusement servi leurs maîtres d’œuvre.

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le 19 oct. 2021

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micktaylor78

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