Tralala se fredonne du bout des lèvres en cillant un peu les yeux face à la lumière. Tralala est une musique qui n’existe pas encore. Tralala est un peu toutes les musiques dès lors qu’on les a oubliées. Tralala est un clochard céleste qui ne se sépare ni de sa guitare ni de son regard hébété. Tralala n’est pas grand-chose, d’ailleurs il est n’importe qui, et surtout pas lui-même. Ce conseil ne vient pas de lui, mais de la Vierge Marie. Oui, la Vierge Marie, qui contredit McDonald et son “Venez comme vous êtes” par un ingénu “Surtout, ne soyez pas vous-même”. Quand on est personne, c’est une bonne méthode pour devenir quelqu’un.


Quelqu’un, oui, mais qui ? Quelqu’un qui existe déjà, qu’on regrette tellement qu’on serait prêt à le reconnaître en n’importe qui. N’importe qui, c’est justement Tralala, alors ce sera désormais Pat. Fils regretté, frère regretté, tonton regretté, amoureux regretté, amant regretté, Pat Rivière est ce fantôme créé à coups de manque qui donnera son nom à notre éperdu miséreux. Et en chansons, s’il vous plaît !


En chansons, oui, mais quel genre de chansons ? Pas très punk, pas très rock, pas très pop, pas grand chose. Souvent les airs se cherchent, tentent de prendre forme, se font leur propre écho. Ou bien tentent de se souvenir de ce qu’ils ont été ou de ce qu’ils auraient pu être ; c’est cette musique enregistrée sur une cassette dont on tente de retrouver les notes à la guitare. Ou encore, ils sont là pour dire, pour tenter de dire, d’articuler ce que les personnages ont sur le cœur, de tenter d’y voir plus clair dans ces visages troublés par le souvenir. Parfois ce sont au contraire des chansons très dessinées, chorégraphiées, lorsque les personnages savent bien ce qu’ils ont en tête - comme les neveux prêts à partir dès le lendemain en Australie - au risque d’aller plus vite que la musique en coupant l'herbe sous le pied de la réplique. C’est notamment le cas de la mère, trop occupée à chanter le retour de son fils pour voir dans son visage l’étranger dissimulé. Les musiques bien dessinées, dans ce film, ce sont les musiques de ceux qui parlent, pas de ceux qui écoutent. La comédie musicale se révèle ici dans toute sa puissance fantasmatique : le chant, souvent, est la mise en scène d’un rêve si bien déployé qu’on finit par y croire. Rien n’arrête une musique entraînée par l’espoir, et c’est soudain elle-même qui devient entraînante.


## Tralala ## ce sont des chansons, des espoirs, des couleurs, des acteurs et des actrices formidables (mais on savait déjà que le jeu de Mélanie Thierry était redoutable de finesse), mais est-ce que c’est bien ? Non, c’est pas top. Bredouillements du début, bégaiement à la fin, quête identitaire embryonnaire, humour bedonnant, manque de classe, mysticisme de supermarché. Sur ce dernier point, ## Tralala ## choisit bien son terrain : Lourdes, capitale française du marché des pleurs. Ici, l’espoir coûte une vierge en plastique à 95 centimes au Palais du Rosaire. La Vierge y fait ses apparitions, oui, bien qu’elle s’habille en training Adidas. Ce n’est pas grandiose, ce n’est pas classe, c’est même souvent gênant de maladresse et d’inadéquation. Mais quelque chose dans ce film refuse jusqu’au bout d’être nul. Quelque chose, peut-être, dans l’attitude d’un Tralala qui se laisse traiter de clochard mais persiste à rentrer en cachette dans un hôtel au grand standing pour y retrouver sa Vierge. Quelque chose dans la gentillesse creuse et ambitieuse de ces héros ratés qui ne prétendent même pas être des héros mais qui, tout de même, ont leur histoire. Quelque chose d’un peu drôle, d’un petit quelque chose qui vous rend tout chose. 
Raffut
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le 8 oct. 2021

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