La saga la plus iconoclaste et étrange des années 2000-2010 ne déçoit pas pour ce qui est de son chapitre final. A cette occasion, on peut enfin se laisser aller à contempler le chemin parcouru, la rare cohérence de Twilight, qu'on peut enfin considérer comme un objet cinématographique entier, un long métrage d'une toute petite dizaine d'heures. Twilight n'a jamais renié son goût pour les récits baroques et le kitsch assumé. Ici, les effets spéciaux ratés, qui n'ont jamais gagné en qualité malgré les hausses successives de budget, s'apparentent à une farouche profession de foi traçant les contours d'une sensible poétique de l'inattendu, de l'absurde. Presque du Surréalisme. Révélation offre son lot de choix esthétiques étranges : exemple parmi d'autres, le bébé Renesmée est l'objet d'une grossière digitalisation du visage de la jeune actrice qui l'interprétera à l'age de dix ans.

On constatera aussi que la saga Twilight s'est toujours révélée plus forte que chaque cinéaste ayant tenté de s'y frotter. Qu'il s'agisse d'une observatrice des troubles adolescents venue du ciné indé (Catherine Hardwicke), un petit soldat du gore biberonné à Carpenter (David Slade) ou un Yes-Man rompu aux films à oscars (Bill Condon), tous ont collé au cahier des charges : montages emphatiques, constructions narratives en dépit du bon sens, Rock FM tendance émo et truquages pouvant aussi bien évoquer Méliès que les Feux de l'Amour, et ce, parfois au sein d'une même séquence.

L'adaptation filmée des romans de la mormone Stephanie Meyer semble avancer les yeux bandés, d'un rêve à l'autre, par pures associations d'idées. Des fulgurances poétiques, qui prennent toute leur valeur surréaliste une fois posées à l'écrit : on ne s'étonnera pas de voir Bella s'isoler soudainement au beau milieu d'une partie de bras de fer pour exposer sa peau diamantée à un rayon de soleil filtrant à travers les séquoias. Ce n'est pas les moindres des paradoxes de Twilight que de proposer un éloge de la langueur et de l'immobilisme mais de ne jamais regarder en arrière, de continuer d'avancer : orgasmes sublimés, références littéraires griffonnées, rêves veloutés et cauchemars obsédants. On se souviendra longtemps de la saisissantes et mortuaire séquence de mariage rêvée par Bella lors de l'épisode précédent. On oubliera pas moins, les décapitations à la chaine du climax. Le film semble, tout comme nous, découvrir soudainement ce motif, en use et en abuse, comme pour souligner l'aspect ludique de l'ensemble. Un monde de petites poupées qu'on peut décapiter et reformer à envi, sans saignements ni cicatrices.

Un peu comme le bébé Renésmée, qui évoquait autant une pub Evian que la creepy poupée Cora, les personnages de Twilight semblent s'approcher dangereusement de l'Uncanny Valley, région imaginaire, hypothèse venue de la robotique voulant que plus une représentation d'un être humain est réaliste, plus elle provoque une sensation de dégout. Poupées modulables, dévissables et transformables à la blancheur diaphane ou aux abdos en plastique. Charlie Swan s'étonnera de retrouver "sa fille qui ressemble à sa fille. Mais qui ne l'est pas". Si Edward et Bella sont pourtant loin de nous inspirer du dégoût, c'est parce que ce sont d'autres régions qu'ils ont en tête. Twilight est le récit de ses personnages mais aussi du film lui-même. Une saga qui a vite quitté le format rebattu et ancré du teen-movie lycéen, cherchant son salut sur les terres de l'abstraction, de la surimpression bancale, pour se conclure dans le décor le plus épuré et désertique possible - "Quand la neige tiendra" - pour une bataille qui n'a pas eu lieu mais dont on ne nous privera pas non plus. L'authentique Uncanny Valley.
Comme vous le voyez, Twilight n'est pas pauvre en paradoxe. C'est toute sa richesse. Le sel de sa revendication pour un retour permanent au ouaté, au doucereux. A un tendre état d'impossibilité. Il est des films qui font rire, réfléchir, penser ou pleurer. Mais il est rare que films hollywoodiens nous fassent songer.

Quel autre film grand public actuel se permettrait un twist final aussi anti-spectaculaire, qui doit d'ailleurs plonger tous les script doctors et autres chantres de la bienséance scénaristiques hollywoodiens dans la stupeur la plus totale. Twilight est un cauchemar de cinéphile, mais un rêve d'esthète pervers. Tant de raisons de le détester (les haters des internets ne s'en sont jamais privé) et pourtant... Quel beau voyage, oscillant en permanence entre le bon et le mauvais goût, le premier et le second degré, le pire de l'esthétique télévisuelle et le meilleur des délires buñuelo-lynchiens. Entre l'ennui profond et la douce torpeur. La mode éphémère et l'Amour Eternel. Le LOL et le WTF. So inclassable. So singulier. So XXIe siècle.
Antoinescuras
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le 16 nov. 2012

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Antoinescuras

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