Voici l’exemple type du film que j’aurais aimé aimer : érudit et grivois, référencé mais pleins de trouvailles esthétiques, expérimental tout en restant ancré dans la réalité… Et pourtant une tonne d’éléments, bien que moins présents que dans Les rencontres d’après minuit (ou alors c’est que le thriller façon giallo ça me parle plus), m’ont foutrement gêné. Le choix de cette diction trop théâtrale pour commencer, à la limite du faux-jeu, pour une intrigue portée par une Vanessa Paradis au capital sympathie certain mais qui semble ne jamais démordre d’un archétype de femme-enfant boudeuse quand il aurait fallu jouer la colère, les larmes ou le remords. Le reste du casting, très « queer-moustache » donne trop dans le second degré que pour être pris au sérieux quand le film tente de passer de l’humour à l’angoisse, il a un côté artificiel qui colle à chacun des personnages.


Ensuite l’intrigue, qui semble s’essouffler complètement dans les trois minutes qui suivent l’introduction (qui elle, est pas mal du tout avec un lien génial fait entre les “coupes” au cinéma et ailleurs). Là n’est pas l’essentiel me direz-vous, le récit tournant autour de meurtres sur le tournage d’un porno gay pas la peine d’attendre un parangon de cohérence ? J’aurais aimé que tel en soit le cas mais pourtant son développement est la seule chose qui justifie un aller-retour bucolique et mollasson dans le troisième quart du film ou un final qui se voudrait émouvant à propos d’un personnage que l’on a malheureusement beaucoup de mal à percevoir comme tragique. J’ai pensé un moment que le film se voulait une métaphore de l’arrivée du sida mais en fait que-dalle, Un couteau dans le cœur demande à la fois d’accepter toutes ses bizarreries baroques en disant « c’est artistique » ou « cherche pas, c’est magique » mais il tient quand même à expliquer son intrigue à grand renfort de flash-back et de voix off.


Reste aussi la mise en abyme, Vanessa semblant osciller entre réalité et fantasme morbide, mais tout semble du même bloc : ça ne marche pas bien de mettre en parallèle la réalité et la fiction si elles sont toutes les deux présentées façon similaire (d’autant plus que pour le glissement réalité fiction, on a eu Ghostland qui a envoyé du très lourd en début d’année) ! Pareil pour la scène de grand guignol, déjà que les attaques d’ours ça fonctionne pas chez Inarritu, alors chez Gonzalez… Alors forcément, la réflexion sur le ciné que Gonzalez tente de drésser en arrière plan s’en trouve légèrement désamorcée.


Et pourtant, il y a quelques semaines à peine, je retournais voir en courant Les garçons sauvages de Bertrand Mandico qui est assez proche dans ses ambitions (d’ailleurs les deux réals sont potes, Mandico joue le rôle du cameraman dans Un couteau dans le cœur), alors pourquoi aduler l’un et être à moitié atterré par l’autre ? Probablement parce que Les garçons sauvage est un récit d’apprentissage et de découverte de soi, où les personnages évoluent et se découvrent, dans un monde pour le coup complètement imaginaire. Tourné en studio avec une grande maitrise et l’impression que chaque élément, même les plus improbables, sert son histoire et/ou son thème là où Un couteau dans le cœur semble souvent n’obéir qu’à un but esthétisant, avec des personnages bien lisses, carrément caricaturaux pour certains. Et les références ! Mandico pille, triture et recrache là où Gonzales semble citer, copier, osant à peine parodier (c’est aussi un reproche que j’ai pour Climax).


J’aurais aimé aimer Un couteau dans le cœur, mais là où il se voudrait comme une vieille copie crépitante 35mm de Phantom of Paradise projetée par erreur dans le dernier des derniers des cinémas pornos de Pigalle, j’ai eu l’impression de me retrouver devant un polar déprimant France télévision tourné, on ne sait pas trop pourquoi, dans une esthétique de soft-porn homo exubérante. Le besoin de cohérence interne, voilà probablement ce que je n’arrive pas à dépasser pour apprécier le cinéma très personnel de Yann Gonzalez, même si j’apprécie toujours autant sa volonté de foutre un coup de pied dans la fourmilière, c’est juste que ce coup ci il semble avoir oublié de viser.

Cinématogrill
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les 33 films que l'on attend le plus au 71e festival de Cannes

Créée

le 12 juil. 2018

Critique lue 228 fois

1 j'aime

Cinématogrill

Écrit par

Critique lue 228 fois

1

D'autres avis sur Un couteau dans le cœur

Un couteau dans le cœur
Sergent_Pepper
4

Back(room) Mirror

Lorsqu’on a encore des traumas plutôt violents de l’expérience des Rencontres après minuit, on n’aborde forcément pas en toute sérénité le cinéma de Gonzales. Mais c’est là aussi le plaisir du...

le 29 juin 2018

33 j'aime

1

Un couteau dans le cœur
DanielStv
2

Mais pourquoi Vanessa?

Alors y'a Vanessa Paradis... Elle est blonde platine et alcoolique... Et aussi Lesbienne... Comme boulot elle fait réalisatrice de Porno gay dans les années 70... Elle a une copine monteuse qui la...

le 21 sept. 2018

16 j'aime

5

Un couteau dans le cœur
Val_Cancun
3

Une épée dans l'eau

Je suis un peu embêté car esthétiquement le film est une petite merveille (avec un jeu incroyable sur les couleurs notamment), mais je me suis très largement ennuyé au bout d'à peine une...

le 24 janv. 2019

15 j'aime

7

Du même critique

Room
Cinématogrill
5

La fin de l’innocence

8,3/10 sur l’imdb, 86% sur métacritique, 94% sur rotten tomatoes, 5 nominations pour un oscar et 7,7/10 sur sens critique à l’heure où j’écris cet article : Room à première vue apparaît comme un...

le 11 mars 2016

56 j'aime

The Florida Project
Cinématogrill
5

Question ouverte au réalisateur : où est le scénario ?

Sean Baker est à la limite de l’artiste contemporain et du cinéaste. Ultra engagé, il s’est fait connaitre après le micro exploit de réaliser en 2015 Tangerine, entièrement tourné avec trois...

le 19 déc. 2017

38 j'aime

5

Thunder Road
Cinématogrill
5

Bonjour tristesse...

J’ai sérieusement conscience d’aller à contre-courant de la perception que semble avoir le monde entier de ce film plébiscité (à part une partie de la presse française spécialisée) mais...

le 13 sept. 2018

28 j'aime

5