Présenté en fin de compétition de la sélection officielle du Festival de Cannes 2018, Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez était la curiosité de la croisette. Pourtant, le grand coup de chaud annoncé n’est jamais arrivé à bon port. Mélange visuel tiède du giallo et esprit Queer bien consensuel, le film ne remplit pas les attentes escomptées.


Queer et élégiaque, Yann Gonzalez avec son premier film Les rencontres d’après minuit avait marqué les esprits. Constituant son univers d’une esthétique baroque, d’une mélancolie transgenre douce et amère, Yann Gonzalez fait partie de ce petit groupe de réalisateurs français, à l’instar de Bertrand Mandico, Hélène Cattet et Bruno Forzani, qui aime s’approprier une imagerie sauvage en triturant les codes du cinéma de genre. Un couteau dans le cœur était donc une grosse attente, qui est malheureusement devenue une belle déception même si tout n’est pas à jeter.


Le projet est beau et annonce la couleur dès le début du film avec l’apparition des deux premiers meurtres: cette ambiance sexualisée et mortifère, cette mise en scène chromatique et ce mystère sanguinolent. Yann Gonzalez met les pieds dans le giallo et le fait de manière assez sérieuse et complètement assumé.


C’est beau, terrifiant et mystérieux. On embarque alors dans cet univers jovial, violent, fanfaron et doucement sadomasochiste dans les studios d’une productrice de films pornos gays qui voit, sans comprendre pourquoi, certains de ses acteurs mourir dans d’étranges circonstances. A partir de ce moment-là, le film commence à boiter sérieusement. Avec son intrigue de série Z faussement alambiquée, qui voit s’entremêler amour passionnel, tueur en série masqué, et univers du cinéma porno, Yann Gonzalez aurait largement pu avoir les épaules pour donner vie à son « Perfect Blue » version Queer mais ne propose qu’un Brian de Palma du pauvre. Malgré ses facéties, sa drôlerie ricaneuse et ses manières de diva, ses quelques bribes d’images sanguinolentes, cet univers pop et bariolé parait bien trop consensuel par rapport à son sujet de départ et bien trop extatique dans sa manière d’aborder le versant cinématographique de son œuvre.


Yann Gonzalez crée un long métrage qui s’assume pleinement d’un point de vue moral mais qui semble bien trop chichiteux à son rapport visuel. Mais où est donc passée l’emphase fantasmagorique des Rencontres d’après minuit, quitte à déborder de tous les côtés et à déverser un océan de chaleur. Seul le frêle mais subtilement féroce Nicolas Maury anime le film d’une sensualité communicative et ajoute de la perversité maligne à son personnage. Pourtant, cette envie qu’a le film de vouloir rafraîchir les pulsions est assez passionnante, et permet au réalisateur d’afficher avec prestance et aisance certaines thématiques comme la dénonciation de l’homophobie, ou bien la mort comme inspiration créatrice et artistique.


Cependant faire des comparaisons n’est pas la meilleure manière d’aborder un film, et comment ne pas être surpris par la tiédeur stylistique du film quand on voit à côté, Bertrand Mandico balancer une orgie de sens et de chair avec les Garçons Sauvages et Hélène Cattet et Bruno Forzani catapulter le giallo à ses limbes les plus primitives. Faire un film dans le milieu du cinéma porno avec aussi peu de chair, faire un giallo avec aussi peu de peur et de sensation horrifique, remplir les trous de son film par une histoire d’amour portée par une Vanessa Paradis apathique, montre à quel point le film semble avoir le cul entre deux chaises et ne savait quel horizon regarder.


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Velvetman
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le 27 juin 2018

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